Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/695

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’avenir des États-Unis d’Amérique serait dans une rupture du lien fédéral qui rendrait chacun de ces groupemens ethniques, — Irlandais et Allemands, Polonais et Canadiens, Italiens et Français, — à leur atavisme européen, modifié d’ailleurs par les circonstances, et à leur autonomie politique. Mais l’histoire ne se recommence pas ; et l’intérêt même en est fait de ce que l’humanité, pas plus que l’individu, « ne descend jamais deux fois dans le même fleuve ! » Quand l’idée, jadis chimérique, d’une fédération des États-Unis d’Europe, — et encore fort éloignée de commencer à prendre corps, — n’en apparaît pas moins à beaucoup de bons esprits comme une espérance légitime de l’avenir, c’est se méprendre que de croire que les États-Unis d’Amérique puissent jamais se proposer, comme un idéal, de briser une union qui fait leur force. Il nous faut au contraire partir de cette idée qu’ils vont tendre à se « nationaliser » tous les jours davantage. Et, dans ces conditions, si nous ne pouvons rien attendre d’eux qui ne soit conforme à leur intérêt « national, » on ne peut raisonnablement leur demander de favoriser sur leur sol la constitution d’une Angleterre, d’une Allemagne, d’une France ou d’une Italie d’Amérique.

C’est pourquoi, dans la prépondérance actuelle de l’élément irlandais aux États-Unis, — et en admettant qu’elle soit démontrée, — nous ne saurions voir qu’un accident ou une phase de l’évolution de la démocratie américaine. Il y a de cela trente ou quarante ans, des publicistes américains formaient le vœu que, de toutes ces races qui contribuaient diversement à mettre ses ressources en valeur, l’Amérique à venir s’assimilât les qualités particulières, et les fondît comme indistinctement en elle pour en former son tempérament propre. C’était mal poser le problème, et on oubliait qu’il y a des qualités qui s’excluent. Quand une école de peinture s’est donné comme programme d’unir ensemble dans ses œuvres la composition de Raphaël au dessin de Michel-Ange et au coloris de Titien, sans parler de la grâce du Corrège et du charme énigmatique de Léonard de Vinci, on ne saurait dire si, dans cette entreprise éclectique, elle a dépensé plus de talent ou usé plus d’inutile effort. Et en effet, ce n’est pas ainsi que se passent les choses ! Je reprends la comparaison de M. Edmond de Nevers. Si la Renaissance a favorisé, dans la littérature et dans l’art, le développement successif des nationalités de l’Europe moderne, ce n’a été qu’en imposant d’abord à l’Europe