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propos ? — je suis un peu étonné que M. Edmond de Nevers ne l’ait pas vu. Le clergé d’origine irlandaise en Amérique a favorisé de tout son pouvoir, il favorise encore la formation d’une « âme américaine, » distincte et séparée désormais de l’« âme anglo-saxonne. » Quand, en 1860, la guerre de Sécession, en opposant les uns aux autres les planteurs du Sud et les puritains de l’Est, a divisé contre lui-même l’élément anglo-saxon, un nouvel élément, sous la forme du catholicisme, s’est introduit dans une combinaison jusqu’alors essentiellement ou principalement protestante. Depuis lors, et on toute occasion, cet élément nouveau s’est efforcé de montrer, non seulement qu’il n’y avait aucune incompatibilité entre le catholicisme et les exigences de la civilisation américaine, mais encore que les catholiques étaient, de tous les Américains, ceux que leur intérêt même attachait le plus étroitement aux libertés américaines. Et si, consciens aujourd’hui du double service qu’ils ont ainsi rendu au catholicisme et à l’Amérique, — je pourrais dire à la démocratie, — les catholiques américains d’origine irlandaise affichaient, un peu bruyamment quelquefois, la prétention d’être les guides ou les conseillers du catholicisme en Amérique, sous l’approbation de Rome, j’ose dire qu’il ne faudrait résister à leur prétention que dans la mesure où elle s’opposerait aux intérêts du catholicisme. Les Américains ont évidemment le droit d’exiger qu’on soit Américain en Amérique. Et, pour ne toucher en passant que deux mots d’une question singulièrement délicate, il est à craindre, si l’on contrarie l’effort du clergé catholique et irlandais en ce sens, que l’on n’aboutisse qu’à rejeter du côté anglo-saxon ceux qui ne demandent qu’à s’en émanciper, pour achever et couronner ainsi, par la conquête de leur indépendance intellectuelle, la conquête de leur autonomie politique.

En tout cas, peu de phénomènes sont plus intéressans que cet établissement du catholicisme en Amérique, et nous pouvons, je crois, le dire, peu de phénomènes sont plus irlandais. L’avenir du catholicisme en Amérique est-il d’ailleurs lié à la prépondérance de l’élément irlandais dans le clergé catholique d’Amérique ? C’est une autre question, et je ne prétends pas ici prophétiser. Mais ce que je crois voir de certain dans le passé, c’est que, l’orientation de la civilisation américaine ayant été jusqu’ici protestante en tant qu’anglo-saxonne, et, réciproquement, anglo-saxonne en tant que protestante, elle est changée depuis qu’elle est devenue