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de dire que c’est à l’imprévoyance de l’Occident qu’est en grande partie due la crise dont le monde civilisé se demande aujourd’hui comment il pourra sortir.

Les relations entre étrangers et Chinois n’ont cessé de s’aigrir depuis le commencement du siècle ; elles étaient moins mauvaises, il y a cent ou deux cents ans, parce qu’alors les Européens se contentaient de commercer avec la Chine aux conditions qu’elle voulait bien leur faire, sans chercher à lui imposer les leurs. Les seuls Occidentaux qui pénétrassent à l’intérieur du pays, les missionnaires catholiques, avaient même su s’y faire une grande situation : le Père Verbiest et d’autres Jésuites furent les conseillers de l’empereur Kang-hi. Depuis le traité de Nankin en 1842 jusqu’au traité de Shimonosaki en 1895, les rapports n’ont au contraire cessé de se tendre, à mesure que les prétentions des étrangers augmentaient, à mesure que ceux-ci voulaient davantage s’immiscer dans les affaires intérieures, imposer à la Chine une civilisation qu’elle méprise[1], se conduire dans ce pays non suivant ses usages et ses lois, mais suivant les leurs. Depuis cinq ans surtout, par leur conduite avidement imprudente, les étrangers ont irrité au plus haut point tous les élémens de la nation chinoise, — les masses, dont ils froissaient les sentimens et les superstitions, la classe dirigeante dont ils inquiétaient les intérêts en même temps qu’ils choquaient ses préjugés, le gouvernement enfin qu’ils humiliaient, — sans parvenir, malgré cela, à se faire respecter, ni même à imposer la conviction de leur force.

On a voulu voir dans la propagande chrétienne l’une des principales causes de l’hostilité des Chinois à l’égard de l’Occident. Il est vrai que l’enseignement des missionnaires apparaît

  1. On ne saurait trop répéter que les applications scientifiques qui sont le côté le plus brillant de la civilisation moderne ne sont nullement aux yeux des Chinois éduqués un critérium de supériorité. Le lettré voit en nous des gens fort grossiers, ignorans de toute politesse, qui négligent le vrai savoir, l’étude des anciens sages, pour s’absorber en des besognes matérielles et inférieures. Il admet bien que nous soyons arrivés à y acquérir quelque habileté, mais la raison en est due suivant lui à la pauvreté, à la stérilité des pays que nous habitons, d’où la nécessité de nous ingénier pour vivre, sans prendre le temps de cultiver notre esprit. Cette idée de la pauvreté de l’Europe qui pousse ses habitans à inventer quantité de machines et à chercher des ressources en des pays lointains est profondément ancrée, au dire de tous les voyageurs, chez les nègres de l’Afrique aussi bien que chez les peuples policés de l’Extrême-Orient. Elle est nettement exprimée dans une lettre du général réactionnaire mandchou Young-Lou, saisie par les alliés en Chine cet été : « Les Européens, dit le signataire, ne peuvent se passer des richesses de la Chine pour vivre. »