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respective des élémens ethniques de l’Union ne se fût pas sensiblement modifiée, ni tout de suite, sans l’occasion que lui en procurèrent les guerres de l’Empire. La fortune de l’ancien et du nouveau monde commençaient ainsi de se lier. La France, occupée d’autres soins, ne conquit pas en Amérique l’influence qu’en d’autres temps le souvenir de son intervention dans la guerre de l’Indépendance lui eût assurément value ; les nécessités de la guerre européenne interrompirent le courant de l’émigration allemande ; et il sembla que le Yankee dût incarner « l’âme américaine. » On en pourrait donner bien des raisons, dont la principale est celle-ci, qu’il était à peu près le seul, dans cette république désormais constituée, qui eût l’orgueil de sa race ; le seul qui la préservât du mélange comme d’une contamination ; et le seul enfin qui, dans le fond de son cœur, gardât plus de fierté d’être sorti jadis du « vieux pays » que de rancune ou de ressentiment d’en avoir été chassé par la persécution. M. de Nevers ajoute « que les colons d’origine anglaise avaient une foi absolue en eux-mêmes et dans leur mission, alors que les colons des autres races, coupés de tous rapports avec leurs patries d’origine… étaient isolés, sans lien d’union entre eux, sans même l’espoir ou le désir de conserver l’identité de leur être. » Et pourquoi ne ferions-nous pas observer à notre tour que, dans une société nouvelle, où l’argent n’allait pas tarder à devenir l’unique distinction, ils avaient ce grand avantage que la sévérité de leur morale, si pure à tant d’autres égards, et si haute, ne s’étendait pas jusqu’aux articles d’argent ? Le calvinisme et la banque ont toujours fait bon ménage. Il y a donc lieu de croire que l’âme américaine « porterait encore l’empreinte exclusive de leur civilisation et de leur esprit, » si la guerre de Sécession n’était venue, en 1861, diviser dans l’Union l’élément anglo-saxon contre lui-même ; si le progrès de la colonisation de l’Ouest, en déplaçant, avec le centre de la population, celui de l’influence politique, n’avait renversé l’ancien équilibre fédéral ; et enfin si le flot de l’émigration, à dater surtout de 1865, n’était venu submerger et noyer l’élément anglo-saxon. On voit sans doute assez clairement la connexion ou la solidarité de ces trois causes pour qu’il soit inutile de la mettre en lumière, et nous nous contenterons d’insister sur la dernière.

Notons d’abord qu’à dater de 1865 de nouveaux courans d’émigration se sont formés, et c’est par milliers qu’on a vu débarquer,