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que c’est la fin d’un jour donné tout entier aux regrets et aux sanglots. Mais d’abord, chez Péri, chez Caccini, que voyons-nous ? Au lieu du veuvage et de l’époux inconsolé, les apprêts gracieux des pastorales épousailles. Sous des bosquets, parmi les fleurs, ce ne sont que propos galans, dialogues de pasteurs et de jeunes filles, aimables vœux de bonheur offerts aux fiancés. Plus tard, sans doute, viendra la catastrophe et l’émotion, mais après une trop longue attente. Et cette émotion même n’ira que rarement jusqu’à la violence. Elle demeurera presque toujours tempérée et comme moyenne. Plus sensibles que nous et moins blasés, les contemporains la ressentaient avec plus de force, et nous trouvons exagérés, presque incroyables quelques-uns de leurs témoignages. Mais d’autres nous paraissent justes, et nous y souscririons encore. Le talent des Caccini et des Péri nous paraît être encore di concetto lagrimevole. Nous goûtons, nous aussi, en ces tristes sujets, (materie lugubri), leur manière douce et affectueuse (la sua doler e affettuosa maniera). Elle ne nous jette plus, comme les Florentins d’autrefois, en de « merveilleux transports, » mais elle demeure capable d’éveiller en nous un vague et délicieux désir de larmes. Dans l’Euridice de Gaccini, le mode mineur domine. La Renaissance l’aima, parce qu’il ressemble un peu au dorien des Grecs, à celui que Bardi qualifiait, entre autres éloges, de « grave, modeste, tempéré et convenable. » Il donne à l’œuvre entière un charme de douceur et de mélancolie. Il la pénètre du sentiment ou de l’éthos que l’antiquité tenait pour le plus noble et le plus pur : le sentiment apollinien.

Quant à la verbalité de cette musique, il n’est pas une page d’Euridice et presque pas une mesure qui ne la manifeste. La musique est ici plus restreinte qu’elle ne fut jamais en aucune forme, en aucun style, même dans le plain-chant, qui l’emporte, et de beaucoup, par la constitution et l’organisme de la mélodie. Les musiciens d’alors sont aussi peu musiciens que possible. Ils le sont, veux-je dire, de la manière la plus simple ou la plus pauvre, en réduisant au minimum les ressources et le génie même de leur art. L’orchestre, naturellement, existe à peine. Péri nous a laissé les noms des accompagnateurs de son Euridice. Egalement fameux par le talent et par la naissance, ils étaient quatre : « le seigneur Jacopo Corsi tenait le clavecin, le seigneur Don Grazia Montalvo jouait du chitarrone ; Messer Giovanni Battista, de la grande lyre et Messer Giovanni Lapi, du grand