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Renaissance musicale se flattait de trouver, dans cette lacune même, à la fois plus d’idéalisme et plus de liberté.

C’est à l’antiquité que la polyphonie vocale emprunta le sujet de ses derniers ouvrages profanes. En 1585, Andréa Gabrieli, le plus grand compositeur vénitien d’alors, écrit des chœurs pour l’Œdipe-Roi de Sophocle, qu’on représentait, à Vicence, sur un théâtre de style grec élevé par Palladio. Quatre ans plus tard, le Florentin Luca Marenzio fait exécuter, à l’occasion d’un mariage grand-ducal, certain Combat d’Apollon avec le serpent Python, qui rappelait, ou du moins voulait rappeler le fameux nome pythique inventé, dit-on, quelque cinq ou six cents ans avant Jésus-Christ, par Sacadas d’Argos. Enfin, en 4581, Vincenzo Galilei, le père du grand astronome, avait publié son Dialogue de la musique ancienne et moderne, où la première obtenait l’avantage[1]. Ainsi, gagnant peu à peu, s’insinuant dans les sujets d’abord, puis dans la théorie, l’idéal antique s’approchait de la musique elle-même. Quelques années lui suffirent pour la conquérir et la réformer.

Vocale et verbale avant tout, c’est par des lettrés et par des chanteurs que cette réforme s’accomplit. Aussi bien les chanteurs, alors, étaient quelquefois des lettrés, même des compositeurs. Ce fut le cas de Péri et de Caccini, dont les deux Euridice, parues en la même année 1600, inaugurèrent en quelque sorte le drame lyrique florentin.

Il naquit dans le palais et comme dans le salon d’un grand seigneur : Giovanni Bardi, comte de Vernio. Issu d’une vieille famille alliée aux Médicis, ce gentilhomme dilettante avait fait de sa demeure une sorte d’académie littéraire et musicale. Il la présidait lui-même ; il en dirigeait les travaux, et les écrivains et les artistes dont il l’avait composée trouvaient en lui non seulement un protecteur, mais un guide. Ce furent de belles séances que celles de la Camerata de Bardi. Vincenzo Galilei sans doute y lisait des fragmens de son dialogue. Peut-être même y fit-il entendre, « chantant à belle et intelligible voix, » l’épisode d’Ugolin, de la Divine Comédie, qu’il avait mis en musique[2]. Là se

  1. Pour ces détails comme pour ceux qui suivent, et en général pour tout ce qui concerne « l’Antiquité et le drame lyrique florentin, » voyez le livre excellent de M. Romain Rolland : Histoire de l’Opéra en Europe avant Lully et Scarlatti ; 1 vol. Thorin, 1895. Nous y avons puisé beaucoup. Il est en cette matière le guide nécessaire et suffisant.
  2. « Galileo, sopra un corpo di viole esattamente suonate, cantando un tenore di buona voce e intelligibile, fece sentire il Iamento del conte Ugolino di Dante. » (Lettre de Bardi, citée par M. Romain Rolland. )