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officiers d’ordonnance destinés, avec eux et moi, à composer la maison militaire du futur gouverneur de Paris : Bassac, du 7e hussards, officier intrépide, qui, à Metz, avait commandé, dans les postes les plus périlleux, les éclaireurs du quatrième corps ; Guillaume de Champs, du 33e de ligne, cité à l’ordre de son régiment après Saint-Privat et dont le frère était mort glorieusement à Servigny ; enfin le lieutenant-colonel de cavalerie Bonie qui, fait prisonnier à Sedan, et bientôt échangé, avait été rendu par les Allemands à l’armée de Metz, où, le premier, il avait raconté le désastre du 1er septembre.

Nous avions souffert ensemble, les mêmes douleurs nous avaient acheminés aux mêmes espérances, et l’épouvantable guerre civile, en nous rapprochant encore, achevait de nous unir par des liens plus forts que l’ordinaire camaraderie.

Ainsi, dès le premier jour, s’établit entre nous une cordialité qui se perpétua, sans que rien vînt jamais la troubler, pendant plus de quatre années, dont la tradition se transmit par la suite, aux nouveaux venus, nommés à la place des partans[1], et qui demeure pour moi, aussi bien, j’en suis sûr, que pour mes compagnons, un cher et précieux souvenir.

Le général de Ladmirault montra, pendant ces sombres jours, les vertus dont, en traçant son caractère, j’ai essayé de donner une idée : et jamais, sans doute, elles ne furent plus méritoires. Car tout concourait à alourdir pour lui le fardeau du devoir : tout était fait pour énerver, lasser, décourager son habituelle patience. Ce n’était pas seulement la douloureuse prolongation de ce siège monstrueux, la tristesse des visites quotidiennes aux avant-postes de Puteaux, de Courbevoie, de Bécon, du pont de Neuilly, où la canonnade constante, meurtrière, tenait les grand’gardes en de continuelles alertes. Mais il y fallait ajouter les négociations ridicules ou odieuses, et les suspensions d’armes acceptées ou subies par le gouvernement, dont les insurgés profitaient pour se mieux fortifier, couverts par les bannières des francs-maçons déployées sur les remparts, que des ordres, venus de Versailles, obligeaient à respecter. Il y fallait ajouter surtout la perpétuelle ingérence de M. Thiers dans les opérations militaires où, non content de gouverner l’Assemblée nationale, de traiter avec l’Allemagne, de préparer l’emprunt libérateur, de réorganiser

  1. Ce furent MM. Je Cossé-Brissac, de Polignac, des Cars et de La Rochebroouard, ce dernier gendre du général et officier d’infanterie territoriale.