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à leurs pièces, le drapeau tricolore porté à l’assaut de la butte par les petits troupiers de Reichshoffen et de Gravelotte, et, debout sur les forts de l’Est, les Prussiens, la lorgnette aux yeux, contemplant l’horrible scène en spectateurs satisfaits, ceux-là n’oublieront jamais !

Quand j’amassais ces souvenirs funèbres, le rêve d’Aix-la-Chapelle était accompli, par des événemens dont nous n’avions pas prévu la foudroyante rapidité. J’étais attaché à l’état-major particulier du général de Ladmirault et, pendant plus de quatre ans, jusqu’au terme de ma propre carrière, je ne devais plus, sauf une interruption de quelques mois, m’éloigner de sa personne.

M. Thiers, après le désarroi des premiers jours, avait, du néant, fait sortir une armée, reformant les régimens démoralisés qu’il avait, comme des épaves, ramenés de Paris à Versailles, appelant à lui les restes encore debout des légions improvisées pour la défense nationale, organisant, à mesure qu’ils arrivaient d’Allemagne, les prisonniers de Sedan et de Metz.

Le général de Ladmirault avait pris le commandement du premier corps. Son quartier général était au château de Rueil, grande demeure inhabitée, non loin de La Malmaison, près de la route de Paris à Saint-Germain, encore toute pleine des traces de la guerre : dans le parc, on montrait la place où s’était fait tuer le marquis de Coriolis à son poste de garde national. Ce fut là que je vins rejoindre mon nouveau chef, avec la permission du général de Galliffet, commandant alors la brigade de cavalerie qui couvrait, à Saint-Germain, les approches de Versailles, et dont j’étais, depuis le 20 mars, l’officier d’ordonnance.

Autour du général de Ladmirault se retrouvaient d’anciens officiers de l’armée de Metz : le général Sagel, avec qui, dans la ferme de Bellecroix, j’avais, la veille de Borny, partagé une botte de paille ; son frère, le colonel, qui à Rezonville, allant chercher la division de Cissey pour la conduire à l’attaque du bois de Tronville, avait dit à son général : « J’arrive au-devant de vous, comme vous êtes venu au-devant de nous à l’Aima : nous prenons l’ennemi à revers, et votre action va être décisive ; » le commandant Pesme et le capitaine de La Tour du Pin, tous deux aides de camp, déjà attachés au général, à l’armée du Rhin, ainsi que les lieutenans Millet et de Pierrebourg, l’un hussard du 2", si cruellement décimé à la charge de Rezonville, l’autre, dragon, de la division Legrand ; puis les nouveaux