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les uns, pour les autres un réconfort, pour tous un exemple.

Ainsi s’affermissait davantage, au milieu des épreuves, le respectueux attachement qui, déjà, me rapprochait de lui. Sa bonté l’augmentait encore. Car il savait, avec une paternelle bienveillance, encourager les jeunes gens en les modérant, et si, par l’effet de son caractère autant que de son âge, il ne s’associait qu’avec réserve aux idées d’avenir dont l’ardeur nous agitait, il les accueillait, du moins, avec une sympathie qui en soutenait la généreuse inspiration. Nous devions, un an plus tard, René de La Tour du Pin et moi, faire, de cette tacite approbation, une large et féconde expérience.

Dès lors, une sorte de pressentiment, qu’il ne démentait pas, nous liait, tous deux, pour un lendemain ignoré, au service du général. Cette espérance se mêlait à nos adieux, le 12 mars 1871, lorsque, tout étant consommé, il nous fut permis de rentrer dans notre pays, non comme des exilés joyeux de la délivrance, mais comme des enfans tristement ramenés au foyer, que leur bras n’avait point sauvé de l’horrible profanation.

Nous revenions, cependant, malgré cette amertume, certains du devoir accompli, prêts à celui du lendemain, avides de travail et d’action patriotiques. Quel comble de douleur nous attendait, on le sait assez !

Trente ans ont passé, qui ont éteint les souvenirs, effacé les impressions, changé les hommes, les situations et les idées. La Commune n’est plus, pour beaucoup, qu’une discorde civile lointaine, passagère et oubliée. Mais le 18 mars 1871 ! Qui dira la poignante tristesse, la colère et la honte, quand, au soir de cette radieuse journée, où le ciel semblait verser sur le sol ravagé des promesses de renouveau, on apprit l’insurrection et sa victoire, les généraux massacrés, le gouvernement en fuite, et Paris, à peine délivré, offrant à ses vainqueurs debout à ses portes le spectacle des vaincus achevant de se déchirer ? Qui dira le sombre découragement, quand, au lieu du noble labeur attendu, les soldats, rendus la veille à la patrie, trouvèrent devant eux cette lugubre tache et durent reprendre, pour la plus néfaste des guerres, leurs armes à peine ressaisies ?

Il n’est point d’effort du temps ou des hommes capable, pour les survivans du passé, de vaincre l’histoire. Ceux qui, dans ces jours maudits, ont vu du même regard le drapeau rouge flottant sur le sommet de Belleville, au milieu des canonniers acharnés