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les hommes : neuf jours plus tôt, ce troisième corps que le retour offensif du quatrième venait de soutenir si à propos, n’était-il pas resté, à Saint-Avold, prêt à marcher, frémissant d’impatience, immobile cependant jusqu’au soir par l’ordre de Bazaine, malgré le grondement tout voisin de la bataille engagée à Forbach, que son intervention eût sans doute transformée en victoire ! On se disait que Ladmirault ne nous eût pas infligé cette cruelle inaction : et, dans le besoin d’un chef, les cœurs allaient à lui.

Bientôt, les événemens justifièrent cette confiance. Le 16 août, le général de Ladmirault parut un moment le favori de la gloire. Je le vois encore, vers le milieu du jour, à la droite de cet illustre champ de bataille de Rezonville, où le triomphe fut dans nos mains. Le matin, nous avions débouché, joyeusement, dans la plaine, entre Saint-Marcel et Urcourt, venant au trot du château de Verne ville, dont le propriétaire, qui en portait le nom, était colonel d’un des régimens de notre division, et, par la plus cordiale hospitalité, nous avait, dans une courte halte, reposés des rudes fatigues de ces quarante-huit heures, presque constamment passées à cheval. On était gai, la journée s’annonçait belle, il semblait que la victoire fût dans l’air.

Cependant les heures s’écoulaient : demeurée sur le terrain, sans ordres, sans participer à l’action, mais exposée au feu continuel des batteries prussiennes, obligée de chercher par des évolutions répétées un abri qu’elle ne trouvait pas, notre cavalerie commençait à s’énerver, quand le général de Ladmirault passa devant nous, au pas, calme dans la grêle des obus, tenant de sa main droite sur le pommeau de sa selle sa canne à bec de corne, et suivant d’un tranquille regard la division Grenier qu’il venait de jeter, en un magnifique élan, vers le bois de Tronville.

Son état-major marchait derrière lui, rayonnant d’ardeur et de confiance : Protais, le peintre illustre des chasseurs « avant et après le combat, » était là, aide de camp volontaire, soldat autant qu’artiste, cherchant dans la fiévreuse émotion de la bataille l’inspiration de son pinceau. Un obus, en tuant le maréchal des logis Henry, qui portait le fanion du général, venait den briser la hampe : le capitaine de La Tour du Pin, l’un de ses aides de camp, l’avait relevé, et le portait à son tour. Il était mon ami : un instant, au milieu de cette plaine désormais historique, et parmi le tumulte des escadrons et des régimens, du canon et de la fusillade, nos chevaux, dans une courte rencontre, se trouvèrent côte à côte ; et