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complot contre la sûreté de l’État et la vie du cardinal, de complicité avec Pierre Le Tonnelier et Marie d’Estournel, dame de Gravelle. Mais la lecture des interrogatoires[1] de ces deux prévenus, dont l’un fut pendu et l’autre condamnée à la réclusion perpétuelle, nous a laissé tout à fait incrédule sur la culpabilité de Mathieu de Morgues. Mathieu de Morgues a dû avoir, il a eu certainement des intelligences et des correspondances en France, mais elles n’ont eu pour but que d’y ménager l’introduction de ses pamphlets.

Ce qui est malheureusement mieux établi et ce qui n’est guère moins contraire à cette singulière prétention d’abstention politique dont il se pique, c’est qu’il rédigea, au nom du cardinal-infant des manifestes adressés à l’Europe par la maison d’Autriche. Il ne lui restait plus après cela qu’à se faire son sujet, et c’est ce qu’il fit. Le 26 janvier 1638, il écrit à son imprimeur, Balthazar Moretus, chef de l’imprimerie plantinienne à Anvers, qu’il est devenu Flamand[2]. Ce reniement de sa patrie, cette adoption de la nationalité espagnole, affaiblissaient rétrospectivement sa polémique passée et par avance sa polémique future. Le châtiment ne se fit pas attendre, et ce fut le plus cruel qui puisse frapper un homme de parti, un homme de parti surtout qui lutte moins pour le triomphe de certaines idées que pour le triomphe d’un chef, car ce châtiment consista dans le désaveu tacite, mais non moins humiliant, de ce chef. Dominée par Fabroni, dont Mathieu de Morgues déplorait l’influence, Marie de Médicis avait quitté clandestinement les Pays-Bas avec la pensée de s’établir en Angleterre, et Mathieu de Morgues n’avait pas même été avisé de ce départ qui, en même temps qu’il lui infligeait un affront, amoindrissait beaucoup sa situation matérielle, car, si la reine perdait, par son brusque passage dans les Provinces-Unies, la pension de l’Espagne, dont l’hospitalité avait droit à plus d’égards, ses serviteurs perdaient du même coup les gages assignés sur cette pension. Après avoir renoncé, pour sa maîtresse, aux espérances d’un bel avenir en France, après s’être mis, par sa naturalisation, au ban de tous les Français, il ne lui restait que deux titres à l’estime des autres et de lui-même : sa régularité et sa distinction dans l’exercice de son ministère, et son dévouement à une grande

  1. Ibid., fol. 60-64, v°.
  2. Henrard, Mathieu de Morgues et la maison Plantin dans Bulletin de l’Académie royale des sciences. Bruxelles, 1880.