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littéraire semblait devoir lui faire perdre. Peut-on faire profiter Mathieu de Morgues de ce dédoublement, qui fait gronder la morale et qu’autorise la psychologie ? On croit bien apercevoir deux hommes chez lui. Une fois qu’il avait la plume à la main, ses rancunes, sa combativité, son dévouement à sa maîtresse, et, par-dessus tout, — car il était foncièrement gens de lettres, comme on dirait aujourd’hui, — son amour-propre d’auteur travaillant ses effets et les cherchant dans l’outrance, faute de savoir les obtenir par les nuances et les demi-teintes, l’emportaient sur tous les scrupules. Mais le même homme qui, dans le silence du cabinet, avait tout immolé à sa haine, à sa verve laborieuse, à la vanité littéraire, à la griserie de cette escrime de la plume où il recevait autant de coups qu’il en portait, ce même homme devenait, une fois que la fièvre de la composition était tombée, un ecclésiastique zélé et respecté. On peut, croyons-nous, ajouter foi au témoignage qu’il se rend à cet égard à lui-même. Premier aumônier de la reine mère, prédicateur en titre de la cour de Bruxelles, pourvu par le cardinal-infant de la prévôté de la collégiale d’Harlebeke près de Courtrai, d’où il tirait un beau revenu, ayant obtenu dans la chaire de la chapelle du palais royal à Bruxelles les suffrages d’un public d’élite et à la cour les sympathies générales, il se fait un mérite de s’être tenu à l’écart des questions politiques, c’est-à-dire évidemment des négociations cl de l’entente de la reine mère et de ses partisans avec l’Espagne ; de s’être confiné, la plus grande partie de l’année, dans son bénéfice ; de s’y être absorbé dans la restauration des bâtimens conventuels et le perfectionnement de la discipline ecclésiastique ; de n’être venu à la cour de Bruxelles que pour y prêcher, quand le roulement du service de l’aumônerie l’y appelait, lavent et le carême. Il aurait même obtenu du cardinal-infant la permission de ne jamais prêcher cette dernière station jusqu’au bout, de façon à pouvoir diriger dans son église collégiale les exercices de la semaine sainte. C’est à une apologie, il est vrai, que sont empruntés ces renseignemens sur la vie de l’abbé de Saint-Germain en exil, et la réserve politique qu’il s’attribue paraît singulièrement démentie par le jugement de la chambre de l’Arsenal qui le condamna, le 3 juillet 1635[1], à être rompu vif pour s’être rendu coupable de

  1. Archives des Affaires étrangères, France 814, fol. 231-233.