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le sentiment des devoirs internationaux et de leur en imposer l’accomplissement.

Si telle est leur cruauté pendant la paix, quels n’en seront pas les excès en temps de guerre ? comment étancheront-ils leur soif de vengeance et résisteront-ils à leurs propres fureurs ? Après les traités du 24 et du 25 octobre 1860, les commissaires alliés durent punir eux-mêmes un haut mandarin de Canton, qui avait torturé des prisonniers de guerre. Le maréchal Yamagata, dans une proclamation adressée aux troupes japonaises placées sous ses ordres (septembre 1894), caractérisait en ces termes l’armée chinoise : « L’ennemi a un caractère cruel et féroce depuis les temps anciens. Si, dans les combats, vous avez le malheur de devenir ses prisonniers, il vous fera subir certainement des souffrances atroces, plus terribles que la mort, et vous fera mourir, après cela, par les procédés les plus barbares et les plus inhumains. Défendez-vous donc de devenir ses prisonniers, quelque périlleux que soit le combat à soutenir. Ne reculez pas devant la mort. » Cette peinture était fidèle. Les Chinois ne se conformèrent pas aux lois de la guerre. Ils suspendaient aux saules, sur le chemin que devait suivre un des corps expéditionnaires, les têtes des soldats japonais. Pendant les escarmouches de Dojooski, ils arrachèrent les entrailles de leurs ennemis morts ou blessés pour introduire dans leurs corps ainsi vidés des pierres et du sable. Interrogée par le Comité international des sociétés de la Croix-Rouge de Suisse, la Société de la Croix-Rouge du Japon répondit le 28 août 1895 : « Ceux de nos soldats qui deviennent prisonniers de la Chine ne sont pas seulement privés de tout secours ; ils s’exposent aux massacres et aux mutilations les plus atroces[1]. » Cependant la Russie, puissance asiatique autant qu’européenne, voulut, en 1898, que l’Asie fût représentée à la grande conférence de la Haye non seulement par le Japon, la Perse et le Siam, mais encore par la Chine. Cette invitation contribua-t-elle à dégager, dans l’esprit des Chinois, la notion d’un devoir international, par suite à resserrer les liens qui les unissent à la société des peuples ? On en jugera bientôt.


ARTHUR DESJARDINS.

  1. Le rapport officiel adressé par le docteur Kikuti Tadaatsu, après la bataille de Ping-Yang, au directeur général du service de santé en campagne donne à ce sujet des détails précis. Voyez l’ouvrage de M. Nagao Ariga sur la Guerre sino-japonaise, p. 114.