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accru sa puissance d’application, ç’a été l’espoir qu’il trouverait quelque jour le moyen de diminuer la souffrance dans le monde. De bonne heure, cette idée lui était apparue, au cours de ses travaux sur les fermentations, que le principe pourrait en être appliqué à l’étude et au traitement des maladies contagieuses. Dès l’année 1860, il écrivait : « Ce qu’il y aurait de plus désirable serait de conduire assez loin ces études pour préparer la voie à une recherche sérieuse de l’origine des diverses maladies. » De merveilleuses perspectives s’ouvraient devant lui dont il ne cessa plus d’avoir l’obsession. Quel stimulant plus actif pour son génie ? C’est lui qui a dit : « Elle serait bien belle et bien utile à faire cette part du cœur dans le progrès des sciences. » La part du cœur est très large dans son œuvre. Pour faire à l’humanité tout le bien que lui a fait Pasteur, la condition essentielle c’est d’aimer passionnément l’humanité.

C’est pourquoi l’opinion de Pasteur a une singulière autorité pour décider d’une question qu’autour de nous on embrouille à plaisir. C’est à ce bienfaiteur de l’humanité et c’est à ce savant que nous demanderons s’il est vrai que le double culte de la science et de l’humanité exige qu’on sacrifie au préalable l’amour de la patrie. Cette question il se l’est posée à lui-même et il y a répondu plus d’une fois, sans jamais varier et de la façon la plus catégorique. La science, affirmait-il, n’a pas de patrie ; et je ne sais si cette assertion n’appellerait pas certaines réserves. Toute œuvre porte la marque et reflète les qualités particulières de l’esprit qui l’a élaborée ; les savans ne s’y trompent pas et distinguent aisément le pays d’origine d’un travail scientifique. Il est des traits auxquels on reconnaît la science française, et par exemple, en voici un dont l’œuvre de Pasteur témoigne avec éclat : comme on lui demandait pourquoi il ne tirait pas de ses découvertes un profit bien légitime : « En France, répondit-il, les savans croiraient démériter en agissant ainsi. » Mais voyez quel correctif Pasteur se hâtait d’ajouter à son aphorisme. Dans un congrès international, il faisait cette déclaration : « Je me sens pénétré de deux impressions profondes : la première c’est que la science n’a pas de patrie, la seconde, qui paraît exclure la première, mais qui n’en est pourtant qu’une conséquence directe, c’est que la science doit être la plus haute personnification de la patrie. La science n’a pas de patrie, parce que le savoir est le patrimoine de l’humanité, le flambeau qui éclaire le monde. La science doit être la plus haute personnification de la patrie parce que de tous les peuples, celui-là sera toujours le premier qui marchera le premier par les travaux de la pensée et de