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« orateurs » de la « tribune » de l’Académie de médecine. Molière est mort, mais les médecins de Molière sont toujours vivans. Ce sont eux qui, écrasant Pasteur sous le poids de son incompétence, renvoyaient le « chimiâtre » à ses cornues, et, tournant l’affaire en plaisanterie, répondaient aux preuves et aux faits par des épigrammes qui tâchaient à être spirituelles. Contre leurs attaques Pasteur ne savait pas rester indifférent ou du moins calme. Il apportait dans la discussion une fougue, une rudesse, une âpreté qui donnait prétexte à lui reprocher son humeur intolérante et despotique. C’est qu’il avait conscience de défendre non pas « sa » vérité, mais la vérité ; c’est qu’il tenait pour des expériences rigoureuses contre des expériences mal faites ; c’est que l’intérêt même de la science était engagé à ce qu’elle ne restât pas solidaire d’erreurs qui entravaient sa marche en avant et retardaient d’autant son progrès. « Quand la lumière a été faite sur un sujet par des preuves expérimentales sérieuses et non réfutées, il ne faut pas que la science traîne à sa suite des assertions sans preuves qui remettent tout en question. » Encore Pasteur eût-il pu excuser l’ignorance et pardonner à l’erreur ; mais la mauvaise foi lui était insupportable.

A mesure que les résultats de ses travaux devenaient plus éclatans et que la bienfaisance en était plus évidente, la gloire de Pasteur se répandait ; l’écho lui en revenait de tous les côtés. Il trouvait exagérés les honneurs qu’on lui rendait. Un jour qu’arrivant en retard à un congrès scientifique à Londres, il vit toute l’assistance se lever, il songea avec inquiétude : « C’est sans doute le prince de Galles qui fait son entrée : j’aurais dû arriver plus tôt. » Cette idée ne s’était pas présentée à son esprit, qu’un tel témoignage de respect pût s’adresser à lui. Bien loin qu’il tirât avantage pour sa propre personnalité de tant d’hommages, il les reportait à la science, à ses maîtres, à son pays. Aussi bien ces honneurs qu’il n’avait pas recherchés, il s’en montrait touché, il les recevait avec émotion, avec reconnaissance. Il était homme à revenir de voyage pour s’entendre décerner un prix dans une exposition. Il avait le respect des puissances établies. Il croyait à la réalité des distinctions. Ce révolutionnaire de science était très pénétré du sentiment de la hiérarchie. Il était dénué de mépris transcendant. C’est donc qu’il était pareillement dépourvu de ces deux sortes de vanité dont l’une consiste à se plaire aux honneurs et l’autre à les dédaigner.

À cette ardeur pour la science, à cette opiniâtreté dans l’effort, à cette modestie dans la gloire, un trait s’ajoute pour achever de peindre