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jour qu’elle lui manifestait avec vivacité certains vœux qui ne lui paraissaient ni opportuns ni suffisamment justifiés, le jeune homme résistait, respectueusement mais fermement aussi. L’impatience gagnait la Colombienne, habituée à tout voir plier. Peu à peu, oubliant la majesté maternelle, elle s’emporta, elle somma : — Por la vida que Ud me debe ! Au nom de la vie que vous me devez !… — Je ne vous dois rien, Madame, répliqua froidement Arboleda. Vous m’avez conçu par plaisir, vous m’avez porté par nécessité, et vous m’avez mis au monde par hasard.

Comme nous allons arriver à Morales, voici qu’un tournant élargit l’horizon, le fleuve semble se reculer comme un spectateur, et, en effet, totalement, immense, le grandiose tableau escompté se déroule. Les Andes ! les Andes ! Rarement syllabes déjà sonores se sont liées en moi à des intuitions plus troublantes. J’éprouve un délice naïf à me les répéter à moi-même, et si je les contemple ces Cordillères, c’est, je le crois bien, avec cette petite accélération des artères que la géographie donne aux enfans doués d’imagination. Les Andes ! La voix et la pensée montent en même temps vers leurs dentelures bleues, comme si l’on ne pouvait prononcer ce nom musical que les yeux levés.

Et de fait, la prestigieuse mise en scène ! Spectacle immobile, plein d’une solennité de silence ! Ici, autour de nous, tout ce vert équatorial, ces eaux chaudes et blondes, et là-haut, aux balcons de l’infini, ces crêtes si voisines de l’azur qu’elles en ont revêtu la couleur. L’hiver qui se dresse limpide au-dessus de l’été ; le calme olympien des Titans qui regardent, chenus et assis, la joie universelle.

Le miracle de la latitude les enveloppe du reste, ces belles chaînes, et les nuages qui font presque éternellement maussade le front sublime des Alpes, s’écartent ici, comme de respect. On peut apercevoir les replis, les vallées, deviner les ossatures, les directions approximatives, que marquent ces menus traits d’outre-mer. Les éloignées, les suprêmes forment une scie continue sur le ciel d’un bleu anémié dans l’alanguissement du crépuscule. Contraste superbe avec leur base violette et uniforme, avec l’horizon ras des forêts les soulignant enfin de son sinople étrange que la fuite du jour décompose ; pendant que les perpétuels urubus, planant avec lenteur au-devant de nous, ont l’air, trompant les distances, de tournoyer sur les montagnes.

Puis ensemble elles meurent, cette silhouette pommelée de la