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ravinées où les carrioles dansantes détalent en cahots fantastiques ; et le clocher espagnol, et les toits de paille de la rue San Blas, et nos personnes mêmes participent de violets indéfinissables. Tandis que dans l’azur défaillant du ciel, avec une lenteur, une majesté agrandie par le soir, les lents urubus tournoient.

Quand le crépuscule aura fini de s’éteindre, une autre vie plus intime et plus allégée recommencera aux lumières. Ma solitude s’égarera donc au faubourg des Quintas où gisent les villas et les maisons de plaisance des riches habitans, vers l’extrémité de la ville. La route perfide s’aggrave de nuit sans lune, nuit noire, exagérée, de la zone torride. Le pied trébuche ; des murs incertains et des grilles se perdent sous des panaches d’ombres retombantes qui sont les arbres d’invisibles jardins. Et comme, à cette même heure, sur l’entière face obscure du monde équatorial, c’est le grand concert de tous les bruissemens, de toutes les stridulations, de toutes les vibrations exaspérées, avec le grand feu d’artifice des lucioles. Des lucioles partout, dans les buissons dépouillés et comme saupoudrés de craie, dans la hauteur mystérieuse des feuillages, autour de ces familles se renversant en chaises à bascule sur le devant des portes, autour de ces nonchalantes jeunes filles en vêtemens blancs, dont les doigts font s’envoler des chansons de guitares et dont les cheveux emprisonnent, comme des couronnes d’étoiles, d’autres lueurs plus éclatantes.

Il y a, dans les ténèbres de ces terres vierges, un insecte — dont le moindre mérite n’est peut-être pas dans les strophes, qu’il a inspirées — c’est le cocuyo, qui ne vit qu’en Amérique, et encore dans les sites les plus chauds, dans certains cantons à lui, comme si toutes les atmosphères, même brûlantes, du monde, n’étaient pas propres à entretenir la flamme qu’il rayonne à son tour.

Qu’on se figure une espèce de lucane brun, long et étroit, sur lequel rien, au jour, n’attirerait l’attention. Au corps aplati, la tête, relativement énorme et dépourvue d’antennes, se soude étroitement, les déclenchemens bizarres et brusques dont cette articulation est douée permettant à l’animal d’échapper par un saut assez considérable aux pressions importunes ; tandis que deux taches glauques, disposées latéralement, constituent l’appareil de ses radiations phosphorescentes.

Voilà le brillant élater, parent de ce fulgore porte-lanternes cher aux belles Brésiliennes, qui sert de bijou électrique à telles