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LE POÈTE NOVALIS.

ningen, chevauchant à travers le vent et la pluie pour passer quelques minutes auprès de sa chère Sophie, Et, cinq mois après sa première visite, en mars 1795, il se fiança secrètement avec elle.

Un extrait du Journal de Sophie de Kühn suffira à donner l’idée de la simple et naïve enfant qu’elle était, surtout si nous ajoutons encore qu’elle ne savait ni l’orthographe ni la grammaire, et que son petit cerveau semblait tout à fait incapable d’acquérir jamais aucune instruction.

3 janvier 1795. — Ce matin, j’ai écrit aux tantes. Il n’y a pas eu d’école parce que M. Graf était malade. — 4. Nous avons été seules. Après-midi, j’ai été au Fauwerk. Le soir, nous avons voulu aller chez le maître d’école, mais il n’était pas chez lui. — 5. Ce matin, papa et Georges sont partis pour Sagafftet. Le départ de Georges m’a gâté toute ma journée. — 7. Ce matin, Hardenberg est monté à cheval. Rien d’autre ne s’est passé. — 8. Aujourd’hui nous avons été seuls de nouveau. Rien ne s’est passé. — 9. Aujourd’hui nous avons été seuls de nouveau, et rien ne s’est passé.

Elle écrivait à son fiancé des lettres du genre de celle-ci :

Comment êtes-vous rentré, cher Hardenberg ? Bien, n’est-ce pas, et sans accident ? Et maintenant écoutez une réclamation que je vais vous faire. Quand vous m’avez donné de vos cheveux, je les ai enroulés dans un papier et les ai mis sur la table de Hans. Et l’autre jour, quand j’ai voulu les prendre, il n’y avait plus ni cheveux ni papier. Prière, donc, de vous faire encore une fois couper des cheveux ! Votre amie Sophie de Kühn.

Novalis, cependant, l’aimait de tout son cœur. Tantôt il jouait avec elle, car il n’était lui-même qu’un enfant, tantôt il lui confiait ses projets et ses rêves, qu’elle écoutait avec de grands yeux étonnés. Et la nuit, rentré à Tennstedt, il essayait de fixer, de préciser l’image qu’il se faisait d’elle, comme aussi de définir la vraie nature des sentimens qu’elle lui inspirait. Ce poète a été en effet, toute sa vie, le plus attentif des observateurs, et nous aurons bientôt l’occasion de voir avec quelle sûreté il savait analyser jusqu’aux nuances les plus subtiles de sa vie morale. Quant à la petite Sophie, voici une sorte de portrait que, pour son propre usage, il avait dessiné d’elle, sans doute au retour d’une de ses visites :

Sa maturité précoce. Elle désire plaire à tous. Sa crainte respectueuse de son père, sa décence, et pourtant son innocent abandon. Son attitude dans la maladie, ses humeurs. De quoi parle-t-elle le plus volontiers ? Sa politesse à l’égard des étrangers, sa bienfaisance, son goût pour les jeux en-