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minait avait, pendant ces deux semaines, fait d’effrayans progrès. Elle se sentait faible, usée par cette toux sèche et perpétuelle. Qu’il revînt vite ! Mais, courageuse, elle dominait son angoisse, s’efforçait à sourire ; elle promit de rester couchée. La mère Louchard veillerait sur elle, pour les petits soins. Et puis, avec Mme Thévenat là-haut, elle était tranquille ! Martial, déguisant son inquiétude, souriait aussi, et, l’embrassant de tout son cœur, il s’arracha des bras qui le retenaient, jeta un vaillant : — Au revoir !

Dans la cour, une détresse le saisissait. La maigreur des bras et du cher visage, le cerne des yeux ardens, lui faisaient mal à voir. Pauvre petite amie, si résignée, si brave ! Il souffrait de ces temps impitoyables, de l’hiver atroce. Il n’y avait plus un sou dans le tiroir à secret. Ah ! si du moins il était riche, pouvait donner à Nini le feu qui réchauffe, la viande qui nourrit ! Il y a six jours, avant l’arrêté de Ferry, ceux qui avaient de l’argent dans leur poche pouvaient encore manger du pain blanc, fait de farines blutées en fraude. Il suffisait de sortir 60 francs, on avait un lapin ; 200 francs, une belle oie. Jamais il n’avait compris à ce point la puissance injuste de l’or.

Mais une voix qui essayait de paraître crâne le hélait : Louchard, armé de pied en cap, attendait sur le sol de la loge.

— Eh bien ! Monsieur Martial, voilà le grand jour !

— Ce n’est pas trop tôt, déclara derrière son dos l’hydropique. Mme Louchard était fière de voir partir son mari. Remise de sa terreur du bombardement, elle avait remonté son lit de la cave, où vraiment on était trop mal. L’énergie qui au début du siège l’enflammait l’avait reprise. Elle confondait dans la même malédiction les Prussiens, Ferry, Trochu, et son fidèle Schmitz que, sur la foi de Louchard, elle accusait de trahison. Elle eût voulu qu’on en finît, d’une façon quelconque.

Martial s’éloignait, avec la sensation de quitter pour de bon cette maison qui abritait le plus clair de ses joies, son amour, son art, qui avait abrité tant d’heures de désœuvrement et d’amertume. Elle était à peu près vide maintenant, Blacourt, les Delourmel, Tinet et Mélie partis. Il ne restait que le fermier de Clamart, avec sa tribu et son chien, dans les pièces des Du Noyer, où, des poules et des lapins vendus, seule subsistait l’odeur infecte. Il unit dans une pensée d’adieu sa maîtresse et les bons Thévenat, la grâce fine de l’une et la sereine dignité, la mâle