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REVUE DES DEUX MONDES.

Ils descendaient enfin, quand au bas de l’escalier, un homme, accompagné de gendarmes, les arrêta.

— Vous êtes bien Madeleine Wursch ? Suivez-moi.

Les yeux de la fille se dilatèrent, dans l’effroi de la surprise. Elle voulait crier. Et comme Frédéric s’interposait, le commissaire de police lui dit très vite, très bas :

— Cette femme est une espionne. Son émissaire pris aujourd’hui a tout avoué ; nous avons ses lettres, avec les renseignemens qu’elle donnait à l’ennemi.

Mieux que cette preuve, l’attitude de Madeleine parlait. Elle était devenue très pâle, ne niait rien ; belle joueuse, elle se raidissait, confiante en son étoile ; elle sortirait de ce mauvais pas. Elle se retourna, dans un dernier sourire à Frédéric. Les gendarmes la faisaient monter dans une voiture, qui s’éloigna.

— Si vous ne me croyez pas encore, dit le commissaire à Frédéric atterré, accompagnez-moi là-haut.

Ils retrouvaient, dans la chambre, au fond d’une malle, sous des piles de linge élégant, un petit coffre plein de rouleaux d’or, de doubles couronnes.

Frédéric, le lendemain, n’était pas encore revenu de son saisissement, une nuit d’insomnie dans le lit trop large, à se consumer d’un étrange malaise, fait de tristesse, de dégoût et de regrets. Dommage ! une si jolie fille ! Une diversion brutale le rendit à lui-même. Le canon grondait. Kettler, avec ses six bataillons, ses deux escadrons, ses deux batteries, osait venir attaquer dans Dijon l’armée des Vosges forte de 24 000 garibaldiens et de 22 000 mobilisés, retranchés derrière cinquante-deux canons.

La bataille durait trois jours. Le 21, Kettler enlevait les villages de Plombières, d’Hauteville, de Messigny, arrivait au pied de Talant. Frédéric retrouvait là son ivresse du combat, plus enivrante encore que celle de l’amour. Le 22, la journée était calme, malgré quelques engagemens partiels. Kettler se reposait et se réapprovisionnait. Frédéric ne pensait presque plus à Madeleine. Les rudes, les loyales figures de ses hommes lui remontaient le cœur. Cette atmosphère de danger lui était douce. Il était à l’aise parmi tous ces aventuriers semblables aux anciens reîtres, insoucieux de la vie, contens pourvu qu’ils eussent poche sonnante et table garnie. Le 23, Kettler reprenait la lutte, s’emparait de Pouilly, poussait jusqu’au faubourg Saint-Martin. Une lutte