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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

places et rues aux cris de : « À bas la paix ! Pas d’élections ! » assiégeait la préfecture jusqu’à ce qu’au balcon Gambetta parût, jurant de tenir jusqu’au bout, Simon, un peu rassuré, expédiait en cachette, à Paris, des messagers et correspondait en province, ses lettres pouvant être interceptées, sous le couvert d’enveloppes de commerce, aux écritures diverses. Les journaux ébruitaient cependant sa mission ; la police lacérait une affiche dont Thiers avait été l’inspirateur. Le petit homme avait tout de suite vu, dans l’arrivée de Simon, la fin des pouvoirs de Gambetta. Il se réjouissait de cette chute et de n’y avoir pas de part apparente, seulement le profit sans peine.

Le drame se précipitait. Le matin même où le comité des journaux protestait contre le décret d’inéligibilité, un télégramme de Bismarck venait à la rescousse, déclarait à Gambetta qu’une Chambre élue selon le décret de Bordeaux ne serait pas reconnue par la Prusse. Alors le ministre s’adressa encore au pays, lui dénonça l’insolente prétention : l’ennemi ne voulait donc décidément que d’une Assemblée esclave, décidée d’avance à la paix ! L’honneur national le supporterait-il ?

Simon, mis au pied du mur, se décidait, bravant une arrestation dont on faisait bruit, à publier, avec le décret lui donnant pleins pouvoirs, celui des élections de Paris : éligibilité pour tous. Et, par une concession habile, il l’étendait aux préfets et aux sous-préfets en fonctions. Gambetta, aussitôt, faisait saisir les journaux, paraître au Moniteur une note où il déniait les pouvoirs de Paris prisonnier de guerre, investi depuis quatre mois, privé de toute communication avec l’esprit public. Le décret de Bordeaux était en conséquence maintenu, malgré l’ingérence de M. de Bismarck. Crémieux partait en hâte, expliquer au gouvernement l’état de choses. Mais il rencontrait en route Emmanuel Arago, Garnier-Pagès et Pelletan, envoyés pour tenir tête aux récalcitrans. Le conseil du Louvre était furieux, on avait, aux nouvelles de Simon, annulé précipitamment le décret de Bordeaux, télégraphié directement aux préfets, parlé même d’incarcérer Gambetta ; Clément Thomas s’en chargeait. Pendant ce temps, dans Bordeaux houleux, Simon écrivait à la Gironde une longue lettre justificative. Mais les envoyés de Paris, survenus, ralliaient à leur façon de voir Crémieux déjà converti, Fourichon, Glais-Bizoin ; Simon compromis, entaché de modérantisme, s’effaçait devant Arago, et, sans autre explication, un décret brutal nommait celui-