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venait de surgir devant les gorges. Mêlée au convoi, elle attaquait la division Pallu de la Barrière, réserve générale à l’abri de laquelle le 18e corps, formant arrière-garde, était en train de s’écouler. Deux de ses régimens faisaient demi-tour, accouraient se joindre à ceux de la réserve, seules troupes qui, des cent mille hommes partis de Bourges, de Lyon, gardassent une âme. Celles-là du moins furent héroïques ; sept heures on piétina dans le sang et la neige, enjambant les cadavres pour avancer de quelques pas. Généraux et soldats rivalisaient. Les fantassins de Fallu lui demandaient : « Êtes-vous content, mon général ? » Le lieutenant-colonel Achilli tombait en brave. À un parlementaire essayant de le persuader qu’il ne restait qu’à se rendre, le général Robert disait : « Il nous reste à mourir. » Jusqu’au soir, tonnant de Joux et crépitant de la Cluse, le canon et la fusillade protégèrent la bifurcation des routes, le cheminement de l’artillerie, proclamèrent dans ce désastre que tout l’honneur n’avait pas sombré !

Le lendemain, quand la petite troupe se replia, Fallu, escorté d’un détachement où toute la réserve était représentée, usait de l’autorisation laissée par Clinchant : liberté de manœuvres à qui, sa troupe sauve, pourrait s’évader. Huit jours après, il atteignait Gex. Billot et son aide de camp Brugère, quelques généraux, plusieurs officiers, réussissaient de même, au prix d’atroces souffrances. À travers les montagnes, dans les sentiers de chèvre, de petits groupes d’hommes affrontant mille morts regagnaient la France.

Sur la route des Fourgs, revenant de la frontière où il venait de conduire ses canons, un jeune colonel à figure énergique, svelte dans son dolman vieilli d’artilleur de la Garde Impériale, croisait, au pas de sa jument dont les os perçaient la peau, le flot sordide, ininterrompu. Jacques d’Avol avait fait tout son devoir. Maintenant, ses pièces en sûreté, le commandement transmis à son second, il tournait le dos au passé, allait à l’avenir. Il n’avait voulu de personne pour l’accompagner, s’enfonçait dans sa solitude altière. L’internement le révoltait. Il ne s’était pas échappé de Metz, fuyant la geôle allemande, pour s’en venir, prisonnier volontaire, terminer la campagne au chaud, dans une ville de Suisse. Il ne pouvait admettre que l’armistice aboutît au cul-de-sac de la paix. Il restait des armées libres, où il pouvait servir encore. Toutes n’avaient pas eu le sort lamentable de celle-ci.

Le plus pressé, c’était de quitter cette route de misère, de trouver