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Conférence dans leurs revendications territoriales. Enfin, dans un entretien officieux qu’il consentit à avoir avec le député belge, il convint sans détour qu’il n’était pas pressé d’entrer en relation avec le régent, le ministère qu’il avait nommé ayant une couleur trop favorable à la France. C’est le même langage que lord Ponsonby tint lui-même au régent la première fois qu’il lui fut permis de l’aborder[1]. Ce dépit si peu déguisé ne faisait que constater que l’influence française sortait agrandie et accrue de la rude épreuve à laquelle on l’avait soumise en espérant qu’elle n’y survivrait pas.

C’est un résultat que M. de Talleyrand aimait à constater, avec ce contentement de lui-même qui perçait toujours dans son langage, dont la forme seulement était modeste. Non qu’il put se vanter d’avoir opéré personnellement le retour d’opinion qui avait lieu à Bruxelles, mais il avait eu le mérite de le prévoir et de l’attendre, sans se laisser détourner par les témoignages d’impatience et les mauvais complimens qu’on lui prodiguait. Grâce à cette persistance, la tâche qu’il poursuivait avait fait un pas considérable par la déclaration de neutralité, suivant de si près et complétant la reconnaissance de l’indépendance. Il ne s’était pas ému non plus du procédé assez discourtois du ministre français, biffant sa signature, sans le consulter ni le prévenir, d’un des actes importans de la Conférence. Il avait jugé, non sans raison, que sa situation était trop forte pour que ce désaveu pût l’atteindre, et ne ferait tort, en définitive, qu’à ceux qui auraient essayé de lui en infliger le désagrément : « Vous désirez, répondit-il à Sébastiani, avec une hauteur dédaigneuse, que je n’agisse désormais qu’après des instructions spéciales, je me soumettrai à vos ordres ; mais je croirais manquer à mon devoir, si je ne vous signalais pas les inconvéniens graves qu’entraîne à sa suite cette manière de traiter les affaires. » Et, après lui avoir fait sentir que chacun de ses collègues agirait naturellement comme lui, ce qui retarderait indéfiniment la négociation en la promenant de Londres à Berlin, à Vienne et à Pétersbourg : « Du reste, ajoutait-il, je dois vous dire, Monsieur le comte, que si, dans ma propre opinion, la guerre devenait trop imminente en refusant ma signature à des protocoles proposés par un des membres de la Conférence, et qui ne toucheraient pas aux intérêts de la France, je croirais trouver dans mes

  1. Théodore Juste, le Régent, p. 105, Belliard à Sébastiani, 16 mars 1831.