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douta. Depuis lors et même encore aujourd’hui, il n’est pas un écrivain anglais qui ne raconte que le plan était formé par l’amour paternel du roi Louis-Philippe, déguisant mal son ambition, et que ce fut le veto imposé par l’Angleterre qui l’empêcha seul d’aboutir. Plusieurs historiens français même, adoptant cette version de confiance, admettent que l’offre royale, sollicitée et provoquée sous-main, ne fut au dernier moment refusée que par un acte de condescendance, pusillanime suivant les uns, ou, suivant des juges plus indulgens, tristement nécessaire envers les exigences britanniques.

Pour mettre à néant cette allégation, je pourrais m’en référer à un ordre de preuves que j’ai déjà indiquées, aux documens confidentiels que j’ai sous les yeux, à commencer par l’instruction autographe déjà citée du roi Louis-Philippe, et où on trouve, à la date du 5 novembre 1830, antérieurement à toute entrevue, cette phrase textuelle et catégorique : « On dit que les Belges seraient assez disposés à demander un de mes fils, mais cette idée doit être écartée, et il ne faut pas même la discuter, parce que, dans l’état actuel de l’Europe, cette discussion serait dangereuse et ne présenterait aucune chance de succès[1]. » On verrait ensuite la même résolution reproduite jour par jour et lettre après lettre dans les mêmes termes, et maintenue, sans une nuance d’hésitation, jusqu’au bout, bien qu’elle dût être, comme on va le voir, mise à forte épreuve. Mais, sans avoir besoin de tant de recherches, il suffit de réfléchir que cette abstention était dictée au roi Louis-Philippe par le plus simple bon sens, qualité dont, à défaut de tant d’autres auxquelles on n’a pas rendu toujours justice, personne n’a jamais dit qu’il fût dépourvu.

La situation était claire, en effet, et ne pouvait lui laisser aucune illusion. Au lendemain de la Révolution belge, on avait le choix entre deux partis à prendre : faire tourner l’événement au profit matériel de la France et poursuivre un accroissement de territoire et un supplément de forces militaires ; ou bien, n’y chercher qu’un avantage moral en respectant, sauf sur un seul point, l’équilibre fondé sur les traités de 1815, et ne rien faire en un mot qui pût compromettre la paix générale. L’une des deux lignes de conduite était hardie jusqu’à la témérité, l’autre, dictée par une prudence qu’on pouvait trouver excessive ; chacune avait

  1. Talleyrand, Mémoires, t. III, p. 380.