Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

complètement. Le suc gastrique, à la vérité, est bien capable de digérer ces tissus quand on les laisse en contact avec lui dans le vase à expérience, in vitro, pendant un temps suffisant, c’est-à-dire au-delà de douze à quinze heures ; mais, au bout de quatre ou cinq heures seulement, l’action est à peine commencée. Or les alimens ne séjournent pas davantage dans l’estomac. Aussi les fibres musculaires ne sont-elles pas altérées ; elles sont seulement dissociées et séparées, à peu près de la même manière que dans la viande bouillie : le tissu conjonctif qui les unit a seul subi une dissolution véritable.

C’est à ce maigre résultat qu’aboutit tout l’effort de l’estomac : à la digestion d’un seul tissu, le plus attaquable de tous, le tissu conjonctif ou unissant, qui relie, unit et cimente tous les élémens anatomiques, et dont l’altérabilité est telle que la seule cuisson suffit habituellement à le liquéfier et à le transformer en gélatine. Le rôle du suc gastrique est donc celui d’un simple réactif dissociateur des tissus ; il n’intervient que pour parfaire, dans l’estomac, l’œuvre de la mastication et de l’insalivation, c’est-à-dire pour réduire en pulpe la masse alimentaire sur laquelle le suc pancréatique est appelé à exercer une action décisive.


Il a été établi, par toutes ces recherches, que l’estomac n’était pas essentiel à la digestion. Certaines observations zoologiques aboutissent à la même conclusion. On a signalé des poissons chez lesquels le conduit de la bile débouche immédiatement au-dessous de l’œsophage. En faisant suivre le conduit œsophagien du conduit intestinal, sans interruption, la nature a donc oublié de pourvoir ces animaux d’un estomac véritable. MM. Valatour, Édinger et E. Yung ont fourni une liste de ces poissons, parmi lesquels figurent quelques-unes des espèces les plus communes ; les cyprinoïdes, l’ablette, la carpe et la tanche, au milieu d’autres types plus spéciaux, les dipneustes, les cyclostomes et les amphioxus.

La démonstration de l’inutilité de l’estomac a été complétée par les expériences d’ablation de cet organe, c’est-à-dire de gastrectomie, pour parler comme les chirurgiens. Un savant hongrois, Czerny, en 1876, réussit pour la première fois cette grave opération. Il enleva complètement l’estomac à deux animaux, dont l’un survécut cinq ans, en excellente santé. D’autres physiologistes, MM. Carvallo et Pachon, en 1893, et F. Monari en 1894, ont gardé pendant plus ou moins longtemps des chiens et des chats qui avaient subi l’amputation de l’estomac. Ces animaux n’en persistaient pas moins à vivre, à boire,