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ruisseaux pour escalader ensuite la montagne ; nous traversons des clairières où l’herbe, la brousse comme on l’appelle, est, à cette époque de l’année, verte et drue, assez haute pour nous couvrir tout entiers. Le long de ces sentiers de caravane usés par le passage des piétons, les noirs aiment à placer la sépulture de leurs chefs. Aussi n’est-il pas rare de rencontrer des tombes dont l’ornementation bizarre consiste en bibelots ramassés par le défunt au hasard de ses rapports avec les blancs : ce sont des dames-jeannes, des fusils de traite et surtout des vases de faïence ; ces pauvres richesses représentent pour ainsi dire l’inscription mortuaire destinée à rappeler l’importance du mort. J’ai même retrouvé là deux images d’Epinal dont l’une représentait un grenadier disant adieu à sa payse ; on y lisait encore ce bout de romance : « Beau grenadier, que ton départ m’afflige ! »

Dans le Bas-Congo, les cérémonies funèbres sont rarement sanglantes. Les villages se contentent d’honorer la mémoire de leurs chefs en tirant des coups de fusil et en ficelant leur dépouille mortelle dans une si grande quantité d’étoffes que le mort devient la bobine d’un immense ballot de cotonnades. On le traîne alors à travers la forêt jusqu’à sa dernière demeure. Dans le Haut-Congo, les choses se passent d’une façon moins inoffensive et il est bien vrai que souvent les femmes du chef sont sacrifiées pour lui servir d’escorte aux enfers. On les jette, — certains disent vivantes, — dans la tombe entr’ouverte, que l’on recouvre ensuite de terre. L’Etat a édicté les peines les plus sévères contre ces coutumes barbares, et les indigènes remplacent les sacrifices humains par des offrandes en nature ; ils enfouissent dans les tombes des milliers de mitakos, ces baguettes en fil de laiton qui servent encore de monnaie courante. Jamais, m’assure-t-on, cuvettes, fusils ou mitakos ne sont volés. La crainte superstitieuse des sépultures est, contre les noirs, la meilleure des sauvegardes ; aussi faut-il classer parmi les légendes de croquemitaine l’histoire des cimetières de blancs protégés, dans le Haut-Congo, par des sentinelles contre la voracité des cannibales.

La route que nous suivons nous offre de temps à autre de magnifiques paysages, car ces sentiers de caravane tracés par les indigènes, tantôt escaladent les crêtes des montagnes, tantôt redescendent dans les fonds marécageux où il faut se dépêtrer des lianes ou des grandes herbes. Des hauteurs non déboisées la vue s’étend sur une immense étendue de pays dépourvue de toute