Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

également les principaux métiers de bâtisseur, de menuisier, de forgeron et deviendront pour l’État, dans leur spécialité d’artisans, des recrues aussi précieuses que leurs camarades destinés à former les cadres de la troupe indigène. Les jeunes hommes sortis de là constituent déjà une classe supérieure à leurs frères de la brousse ; on s’occupe alors de les marier, autant que possible à des jeunes filles élevées chez les sœurs et, s’ils restent à Boma, de les établir dans ce qu’on appelle le village chrétien, où les cases offrent au point de vue du confort un sensible progrès sur les cases indigènes. Aux sœurs franciscaines incombe la charge d’élever les petites négresses et de desservir l’hôpital de la Croix Rouge. Leur couvent, avec les pavillons-infirmeries, la maison du docteur, la pharmacie, constitue l’établissement le mieux aménagé que j’aie vu au Congo. Une inscription rappelle sur chaque pavillon le don d’une ville ou d’une province de la Belgique. Les malades y sont traités dans les meilleures conditions ; ils y trouvent comme un avant-goût du chez eux, ces pauvres gens, anémiés par la fièvre, la dyssenterie ou la foudroyante hématurie. Beaucoup d’entre eux sont arrivés du Haut Congo après d’interminables semaines de voyage à pied, en hamac, en pirogue, sous le soleil qui tue. Et, aux bonnes heures de la convalescence, on les entend se raconter les détails émouvans de leur vie passée là-bas, si dure parfois, si pleine de privations, mais qu’ils aiment pourtant. Comme on retrouve bien vite, même chez les nôtres, gens d’une nation pacifique par destination, l’instinct d’aventures, la joie de batailler ! Ils me disaient leurs durs combats jusque sur les bords du Nil, les émotions des embuscades, la patiente ténacité dont il fallait s’armer pour subir, souvent pendant des mois, la faim, l’isolement, en grelottant la fièvre que cette terre vierge et si hostile distribue sans merci à qui la fouille.

Nous voici au Palais de Justice, vaste maison établie, comme presque toutes les bâtisses de Boma, sur des pilotis en fer qui les isolent quelque peu des invasions de fourmis, grandes mangeuses de dossiers, et des serpens, hôtes incommodes. Justement, il y avait séance du tribunal ; l’affaire était banale, car il s’agissait d’un blanc qui avait enfreint les règlemens de police du port. Mais pour moi, nouvel arrivé, il m’intéressait de constater le fonctionnement, comme d’une chose très habituelle, de ce rouage compliqué de la Justice. Quel contraste de trouver ce juge, ce substitut, ce greffier, en robe avec le cadre coutumier de nos salles