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prépare en quelques mesures, à moins qu’il ne nous attaque soudain et, du premier coup, nous terrasse. Fugue, variations, menuet ou scherzo, récitatif, arioso, il choisit librement parmi les formes musicales ; sans en créer comme sans en abolir aucune, il les agrandit et les élève toutes.

La tonalité, chez Beethoven, est plus indépendante que chez ses devanciers. Il ne respecte pas aveuglément le rapport, tenu jusqu’à lui pour sacré, de la tonique avec la dominante. La médiante l’attire : il penche vers elle et déplace ainsi l’axe même de la modulation. Il s’affranchit, lorsqu’il lui plaît, de la traditionnelle « reprise ; » mais, quand il l’accepte, ou la prescrit, il ne permet pas qu’on y ajoute ; il interdit à l’interprète les fioritures et les « agrémens. »

Autant que des introductions, Beethoven a des codas avant lui sans pareilles (le premier morceau de la sonate des Adieux, dernier morceau de l’Appassionnata, dernier morceau de la sonate appelée sans raison l’Aurore). Près de toucher le but, il se retourne, et, voyant derrière lui son œuvre tout entière et parfaite, il l’embrasse une dernière fois d’un regard triomphant. Beethoven a renouvelé même les élémens essentiels et comme le fond de la sonate pour piano. Dans ses premières sonates, la phrase principale revient un peu plus ornée seulement ; dans les suivantes, elle reparaît plus riche de sens et de sentiment. Il n’est pas jusqu’aux parties d’accompagnement que Beethoven ne fasse mélodiques. Sous le thème du premier morceau de la sonate en ut dièze mineur, je sais des notes intermédiaires dont la succession forme un chant. Haydn et Mozart ménageaient des oppositions agréables entre des idées différentes ; Beethoven cherche davantage à développer une idée centrale, de façon qu’elle gagne peu à peu toute la circonférence, que dis-je ? toute la sphère, car son œuvre a le relief et la plénitude autant que l’étendue. « Par l’accroissement de la mélodie et l’usage modéré des cadences parfaites ; par le style thématique des passages de transition ; par l’affinité, qui n’exclut pas le contraste, entre le premier motif et le second, par le caractère organique » — et non pas mécanique — « des développemens, par ces moyens et d’autres encore, Beethoven l’emporte sur tous ses prédécesseurs en continuité, en intensité, et en unité[1]. »

  1. M. Shedlock.