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Juliette Guicciardi, à Thérèse de Brunswick, l’ « immortelle bien-aimée, » fidèle celle-ci jusqu’à la mort. La sonate pathétique eut pour destinataire le prince Charles Lichnowsky. Né d’une vieille famille polonaise, en 1758, le prince était de dix-huit ans l’aîné de Beethoven. Il résidait le plus souvent à Vienne. Il avait été l’élève et l’ami de Mozart ; il voulut être l’hôte de Beethoven et le logea dans son palais. C’est là que les trois premières sonates de Beethoven furent jouées pour la première fois par l’auteur devant Haydn. C’est là sans doute (car le maître y demeura jusqu’en 1800) que fut composée, en 1799, la sonate pathétique.

De tous ces grands seigneurs le grand homme put être le client, le pensionnaire même ; il ne fut jamais leur serviteur, et, s’ils reçurent des gages de son génie, il ne leur en donna pas moins de sa fierté. M. Shedlock a rapporté la cause patriotique de la rupture avec le prince Lichnowsky. C’était l’année d’Iéna, dans l’hôtel du prince à Troppau, en Silésie. Quelques-uns de nos officiers y logeaient. Beethoven s’était refusé constamment à jouer devant eux ; un soir, comme le prince insistait, il partit pour Vienne, où, de colère, en rentrant chez lui, il brisa le buste de son protecteur. L’écrivain anglais a raison : « Les temps étaient changés. Un Beethoven, un Schubert, un Weber, » — un Beethoven surtout, — « ne pouvaient être ni les bouffons des princes ni les esclaves du public. Ils étaient dans le monde, mais ils n’étaient pas du monde. » Heureux, malgré tous ses malheurs, heureux un Beethoven, puisque le monde, ou du moins quelques-uns de ceux qui étaient du monde l’ont connu, puisque les héritiers des vieux âges n’ont pas repoussé les chefs-d’œuvre que leur dédiait hardiment ce fils d’un siècle nouveau.

Dans les trente-deux sonates de Beethoven, la practical basis, autrement dit la forme ou la constitution spécifique de l’œuvre, n’a rien d’invariable ni d’absolu. Telle sonate se compose de deux morceaux ; telle autre en comprend trois, ou même quatre, tantôt séparés, tantôt faits pour se jouer sans interruption. Une note relative aux esquisses de la sonate op. 10, annonce l’intention de ne plus écrire que des menuets fort courts ; une autre note, plus précise, parle même de les réduire à seize ou vingt-quatre mesures. Ce n’était là que des projets ; le maître ne s’y est pas tenu. Autant que le nombre des morceaux, l’ordre et le genre en sont changeans. Au gré de son inspiration, Beethoven commence par un mouvement lent ou vif ; il nous avertit et nous