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progrès de l’ombre où se noie le contour des objets. Mais, aux soirs d’automne, la saison qui meurt apporte à notre âme une langueur délicieuse. Mais, sur le lac d’argent, la barque laisse en fuyant un sillage pâle sitôt effacé. Mais, sur la mer où chantaient les sirènes, les nautoniers pâmés sentaient le frôlement de caresses impalpables et mouraient amoureusement dans l’étreinte de leur rêve enlacé. Le poète se complaît à évoquer des images magnifiques et vagues où il retrouve un reflet de sa propre sensibilité : « Mon âme est une infante en robe de parade… Mon cœur est un beau lac solitaire qui tremble… La vie est comme un grand violon qui sanglote… » Le Jardin de l’infante est un jardin de rêve ou croissent des fleurs suspectes, fleurs d’ennui aux parfums lourds qui énervent et qui font mal.

On se lasse pourtant de la lassitude elle-même, et les yeux fatigués d’errer vainement à la poursuite des teintes indécises et des contours fuyans ont besoin de se reposer sur des images moins décevantes. Le nouveau recueil d’Albert Samain, Aux flancs du vase, était composé tout uniment de pièces descriptives. C’est un boucher à son étal, une fillette au marché emportant un canard dans son panier, un enfant qui fait des bulles de savon, un autre qui lutte avec un bouc, beaucoup d’enfans, d’ailleurs affublés de noms grecs :


Le petit Palémon grand de huit ans à peine
Maintient enfin le bouc qui résiste et l’entraîne,
Et le force à courir à travers le jardin
Et brusquement recule et s’élance soudain.
Ils luttent corps à corps ; le bouc fougueux s’efforce ;
Mais l’enfant, qui s’arc-boute et renverse le torse,
Étreint le cou rebelle entre ses petits bras,
Se gare de la corne oblique et, pas à pas,
Rouge, serrant les dents, volontaire, indomptable,
Ramène triomphant le bouc noir à l’étable.
Et Lysidé, sa mère, aux belles tresses d’or,
Assise au seuil avec un bel enfant qui dort,
Se réjouit à voir sa force et son adresse,
L’appelle et souriante essuie avec tendresse
Son front tout en sueur où collent ses cheveux ;
Et l’orgueil maternel illumine ses yeux.


Cette pièce et d’autres où nous voyons tantôt une baigneuse qui se mire à la fontaine, et tantôt deux bergers qui rivalisent en chants alternés, auraient leur place entre un morceau d’églogue de Ronsard et un fragment de Chénier. Parti du symbolisme, Samain en avait suivi l’évolution et il s’écartait de Verlaine et de Mallarmé pour