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insignes de son grade et d’afficher des allures de généralissime ; il adressa une proclamation à la garde nationale contre la manie ridicule du galon, des broderies, des aiguillettes ; il laissa la commission exécutive supprimer le grade de général comme incompatible avec l’organisation démocratique de la garde nationale, et poussa même la réserve jusqu’à dépouiller l’uniforme. Jamais l’axiome de la « liberté » républicaine : cedant arma togæ, ne fut plus rigoureusement observé. Mais les suspicions instinctives ne désarmèrent point ; le seul titre de général, rapporté par Cluseret de la libre Amérique, suffisait à les éveiller ; et son arrestation à la fin d’avril, motivée par l’échec d’Issy, fit l’effet à certains membres de la Commune, comme Delescluze et Félix Pyat, d’une de ces mesures de précaution républicaine qu’on ne multiplie jamais assez. Après le général Cluseret, le colonel Rossel fut à son tour suspect, d’autant qu’il avait antérieurement servi dans l’armée régulière. « C’est l’élément militaire qui domine toujours, disait alors Delescluze ; et c’est l’élément civil qui devrait toujours dominer. » De défiances en défiances, la Commune en vint à donner à Delescluze, un journaliste, la direction des forces militaires, et à installer des commissaires civils, MM. Léo Meillet, Johannard, Dereure, aux côtés des généraux. « La Commune, proclama le nouveau délégué à la guerre, a pensé que son représentant dans l’administration militaire devait appartenir à l’élément civil. » On était alors au 10 mai : les progrès constans de l’armée de Versailles rendaient chaque jour plus précaire l’avenir de la Commune. Delescluze ne craignait point, clandestinement, d’incliner la toge devant les armes en allant consulter Rossel retraité. Le 21 mai, tout parut perdu : alors Delescluze et le Comité de salut public, condensant en un manifeste suprême la fermentation de leurs préjugés et le bouillonnement de leurs chimères, crièrent à la populace de Paris, de toute la force de leur angoisse : « Assez de militarisme, plus d’états-majors galonnés et dorés sur toutes les coutures ! Place au peuple, aux combattans, aux bras nus ! L’heure de la guerre révolutionnaire a sonné. » En ces jours d’agonie qu’expia cruellement la mort des otages, la Commune imputait ses désastres à ce qu’elle avait conservé d’appareil militaire ; et les antiques chimères du parti républicain ! sur l’invincible vertu de la levée en masse tentaient un appel, à demi désespéré, à l’insurrection des bras nus. En un dernier soubresaut, la Commune se retrancha dans l’arsenal des