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Et cette loge devint pour le cosmopolitisme maçonnique, parfois inquiété par le bouillonnement des courans nationaux, une sorte d’oasis où l’on aimait à se confirmer dans la foi, à se réconforter dans l’espérance, et à pratiquer la solidarité, synonyme maçonnique de l’archaïque charité. La presse maçonnique de l’époque annonçait volontiers aux « Frères, » épars à travers la France, les événemens de famille qui réjouissaient cette loge, sorte de colonie prussienne couverte du drapeau de l’internationalisme : tantôt, c’était un échange de toasts entre Meyer et Massol, l’un buvant à la France, l’autre redisant les liens qui unissaient la France à l’Allemagne ; tantôt, c’était un somptueux gala dans lequel Colfavru et M. Henri Brisson choquaient leurs verres, au nom du Grand-Orient et du rite écossais, avec MM. Meyer et Brinck, représentans des Frères d’outre-Rhin ; l’émotion croissait lorsque Lachambeaudie, dans une fable en vers, apprenait à Colfavru et à M. Henri Brisson que « myosotis » se dit en allemand Vergiss mein nicht ; et elle n’avait plus de bornes lorsque, se tournant vers MM. Meyer et Brinck, il leur révélait, inversement, que Vergiss mein nicht se traduit en français par « myosotis. » Andréa Crispo, le publiciste maçonnique de Palerme, semblait mêler des larmes à son encre pour mentionner la Concordia : « Un Italien applaudissant à une œuvre allemande en France : tels sont les heureux résultats de l’institution maçonnique ; » et les francs-maçons de Mâcon, dans une lettre à un prêtre lyonnais qui les avait attaqués, disaient avec fierté : « Il y a moins de divergence entre les Maçons de France et ceux de Prusse ou d’Angleterre qu’entre les tendances ultramontaines du Monde et le néo-catholicisme du Correspondant. » L’unité maçonnique était plus parfaite que l’unité catholique ; l’acacia d’Hiram supplantait, en définitive, le sénevé de Jésus.

Chantait-on, par hasard, dans la loge Concordia, les cantiques maçonniques allemands publiés en un gros recueil à Berlin, en 1865, par les soins de la grande loge Aux Trois Globes ? Il faudrait croire, alors, que, lorsque le patriote allemand qui remplissait à la Concordia les fonctions de frère tuileur annonçait l’arrivée de Colfavru ou de M. Henri Brisson, les trente-quatre chants patriotiques qui figurent dans ce recueil étaient soigneusement laissés de côté. Car, tandis que la pacifique Concordia, fondée sous la protection de la maçonnerie française, était aux yeux de cette maçonnerie l’incarnation de l’esprit allemand, et