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jusqu’ici cette œuvre des settlements. La question vient un peu trop tôt. Le champ où opèrent les settlements est très limité et le bien qu’ils ont pu faire est malaisé à discerner ; il ne peut guère, en tout cas, s’évaluer par des chiffres. Le meilleur témoignage que je puisse citer à cet égard est celui d’un cabaretier qui disait à un résident de Toynbee Hall : « Vous m’avez ruiné, j’ai déménagé, je suis allé m’établir deux rues plus loin. » Que les settlements se multiplient, que leurs sphères d’influence s’étendent jusqu’à se rencontrer et se confondre, et les industriels qui vivent de l’ivrognerie verront leurs bénéfices fort compromis.

Ce peuple qu’on instruit, qu’on amuse, qu’on promène, est-il reconnaissant ? Suffit-il, comme le croient les fondateurs des settlements, que les classes se connaissent mieux et se voient de plus près pour se respecter et s’aimer ? C’est là une thèse optimiste à laquelle je ne pourrais souscrire sans beaucoup de réserves. Ces douces influences, ces émanations civilisatrices, cette lente séduction du bien, qui doivent se dégager de tout ce qui se fait au settlement, s’en dégagent-elles réellement et pénètrent-elles au fond des âmes ? Ou bien ces gens ne remportent-ils de là que le souvenir d’heures passées dans des salles bien éclairées et bien ventilées, « avec des messieurs très gentils et des dames très comme il faut, » la sensation d’un contact passager avec le monde des robes de soie et des habits noirs, où les voix sont musicales et où les mains sentent bon ? J’hésite à dire ma pensée. Le settlement fera du bien à un grand nombre ; il fera peut-être du mal à quelques-uns.

Il est une classe de personnes auxquelles il fera certainement du bien ; ce sont les résidens de tout âge qui s’y fixent pour un certain temps. Il y a, parfois, de l’alliage dans ces vocations. Tout n’est pas apostolique dans l’apostolat, tout n’est pas dévouement dans le dévouement. Il peut s’y mêler de la curiosité, du désœuvrement, de l’instabilité d’esprit ; plus souvent, de la gloriole et ce besoin de gouverner autrui qui possède certains hommes et qui est plus fréquent parmi les Anglais que parmi les continentaux. Nés pour organiser, ils organisent quand même et, au besoin, désorganisent pour réorganiser.

Je pourrais citer tel settlement qui ressemble aux monarchies absolues du bon vieux temps où toute la constitution était dans le caractère et le tempérament du monarque. « Le settlement, c’est moi ! » pourrait dire un warden de ma connaissance. Mais