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l’objet du labeur quotidien. Cette émancipation, cette détente, ce joyeux élargissement de la personne humaine, c’est le vaste et encyclopédique enseignement des Universités qui nous prépare à les goûter. Sans lui, point d’accès dans ce monde supérieur où toutes les intelligences se rencontrent dans une sensation d’art ou dans la discussion d’un problème moral. Pourquoi ne donnerait-on pas à l’ouvrier sa chance, — suivant l’expression anglaise ? Pourquoi ne lui mettrait-on pas en main les clefs qui ouvrent ces portes-là ? Pourquoi ne lui permettrait-on pas de gravir les rampes qui conduisent en haut ? Pourquoi, si ses pieds maladroits buttent contre les obstacles, si cette ascension lui donne le vertige, ne lui donnerions-nous pas la main, nous pour qui cette route, tant de fois parcourue, n’a plus ni difficultés, ni terreurs ?

Un romancier, parfois admirable, que nous avons le tort d’ignorer en France et qui, même en Angleterre, n’obtient peut-être pas toute la considération qu’il mérite, Thomas Hardy, écrivait, il y a quatre ou cinq ans, une œuvre saisissante, cruelle à lire, difficile à oublier : Jude the obscure. Ce Jude, humble amant de la science, autodidacte incompris et avorté, erre, toute sa vie, autour des portails universitaires, consumé d’un éternel et mélancolique désir de savoir, brûlé d’une soif que nul ne daigne étancher. Il n’arrive qu’à se déclasser, à être un objet de dérision pour sa femme et ses amis. Comme tous ceux qui sont venus trop tôt ou trop tard dans ce monde, ce martyr meurt sans être sûr d’avoir aimé une réalité. Au moment où Thomas Hardy écrivait cette douloureuse tragédie, digne d’Ibsen, elle était déjà un anachronisme, car il y avait plus de vingt ans que l’University Extension movement avait commencé à fonctionner. Ce mouvement va trouver Jude l’obscur dans sa mansarde ou dans sa chaumière, approche de ses lèvres la coupe où, seuls, les privilégiés, pendant de longs siècles et dans un sanctuaire fermé, ont eu la permission de se désaltérer. C’est en 1872 que Cambridge lança pour la première fois à travers les provinces du royaume ses commissions d’examen ambulantes et organisa, à l’aide de ses anciens élèves, des centres pédagogiques. En 1875, fut fondée à Londres, dans le même dessein, une vaste société qui accepta le concours des diplômés de toutes les universités.

Voici comment on procède. Quand on veut créer, dans un quartier de Londres, un ensemble de cours de ce genre, on réunit un certain nombre d’habitans notables, connus pour