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lui sans angoisse et sans péril. Que croyait-il, au juste ? Il ne nous l’a dit nulle part et personne, ni son maître, ni sa femme, ni ses amis n’ont songé à nous le dire. Il était uni de cœur avec tous ceux qui croient. Il arriva à Oxford tiède, indifférent, indécis : c’est là, dans ce vieux foyer de la connaissance humaine, qu’il trouva la foi. Aussi son esprit était-il en paix sur les relations de la science et de la foi. Pourquoi seraient-elles hostiles ? La science et la religion ont, disait-il, le même point de départ et le même aboutissement. Toutes deux admettent que ce monde a été fait en vue de la justice et que l’ordre y règne. Je ne dis point que cette idée de la science soit juste, mais c’était l’idée de Toynbee et elle le rendait heureux. Le miracle ne le gênait nullement ; c’était, pour lui « un langage, une façon de faire comprendre à certaines époques et à certaines âmes la puissance de Dieu. » Il écrivait : « Le mystère est aussi nécessaire aux phénomènes de la conscience que la clarté l’est aux opérations de l’intelligence. Dans la solitude au bord de l’Océan ou parmi les foules d’une grande cité, un éclair illumine notre nuit et, pendant un instant, nous montre l’ordre des choses divines. C’est ainsi que la vérité fut autrefois révélée aux prophètes et aux poètes. » Rien ne défend, pensait-il, de thésauriser et de fixer pour jamais ces intuitions sublimes. Il possédait, quant à lui, une preuve de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme qui tenait en cinq lignes et il la croyait si sûre qu’il lui avait donné la forme d’une équation.

Au point de vue pratique, son christianisme consistait, simplement, à imiter le Christ. Le matin, il lisait quelques versets de la Bible et, le soir, un chapitre de l’Imitation. Oh ! comme il aimait ce livre, cette source pure, large, intarissable, d’où la vie spirituelle s’épanchait à Ilots ! « Je voudrais, disait-il, m’y baigner, m’y plonger, m’y noyer. »

Toynbee n’était pas né écrivain, et pourtant quelques-unes des pensées qu’on a trouvées dans ses carnets et publiées après sa mort ont une très belle forme. Elles rappellent l’optimisme mélancolique de ce gentilhomme-philosophe qui fut Vauvenargues. Elles font aussi songer à Pascal. Lorsque je lis Pascal, je suis comme un enfant qui passe dans la nuit, tenu par une main nerveuse. Cette main le rassure, mais, parfois, elle semble gagnée de son tremblement. Toynbee a, lui aussi, ces obscurités émouvantes, ces brusqueries, ces frémissemens. Ce fut une joie