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viens aux armes qui doivent arrêter notre attention, car jamais nous n’en reverrons de semblables. Remarquable autant par son architecture que par son exécution, l’épée de Boabdil est certainement le plus bel exemple de l’armurerie hispano-mauresque que l’on possède. Entre ses sœurs, — on en connaît une dizaine dispersées en divers musées et collections particulières, — elle brille d’un éclat sans pareil. Seule aussi, sans doute, a-t-elle droit à ce nom « d’épée de Boabdil » dont se parent ses congénères. Toute la monture, à l’exception de la fusée, en ivoire très délicatement sculptée, est en argent doré chargé de filigranes d’or et d’émaux polychromes disposés dans des modillons en polygones très anguleux et dans des plates-bandes en zigzag. Ce sont des émaux cloisonnés, translucides, exécutés avec la plus grande finesse. Des croix, répétées, parsèment le massif de la garde dont les retombées larges et longues sont, à leur face intérieure, évidées en rainures qui épousent le contour de la chape du fourreau. Le pommeau ovoïde s’effile en une longue tige verticale où se rive la queue de la soie. Son décor est le même que celui de la garde ; il en est de même pour les bagues de la fusée, pour les garnitures du fourreau. La façon dont cette gaine de bois est habillée de maroquin brun, brodé d’arabesques en fil d’or, nous rappelle d’une manière frappante les armes du golfe d’Oman. Il y a là une tradition qui ne s’est jamais interrompue. Aujourd’hui encore, les armuriers de Mascate arrêtent l’enveloppe de peau au niveau des frettes de métal, habillant le bois de place en place, sans jamais monter les anneaux par-dessus le cuir. Et, si l’on regarde le fragment de bélière muni de sa boucle en fer à cheval, on croira voir un pareil objet rapporté de l’Inde ou de l’Oman avec son ruban en brocart de Bagdad. La boucle paraît avoir été forgée hier, l’étoffe avoir été tissée de notre temps. J’ai dit qu’on faisait encore de pareilles épées, avec de semblables lames, avec des montures seulement beaucoup plus grossières, en certaines régions d’Arabie. Mais l’épée de Boabdil porte sa date autant par la richesse, quasi wisigothique, de sa monture, que par son extraordinaire pureté d’exécution. Je suis convaincu qu’en aucune région de l’Orient on ne saurait aujourd’hui en faire une qui soit telle, et c’est en quoi cette extraordinaire relique de la civilisation grenadine doit rester chère à nos yeux. La lame ne mérite pas une mention spéciale. C’est celle d’une épée quelconque du XVe siècle, assez courte, peu large, plate avec une gouttière