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son traitement était simple, tant elle donnait une teinture tenace. Ce n’est pas pour rien que Jehan de Meun, avait dit dans son testament (1340) :


Amour d’omme envers famé n’est mie tainte en graine,
Par trop pou se destaint, par trop pou se desgraine


ni que Rutebeuf, dès le XIIIe siècle s’écriait :


Ne plus que l’en puet faire écarlate sans graine.


Ainsi, à la fin du XVe siècle, la teinture d’écarlate devait-elle encore tenir le premier rang, à supposer que l’on eût commencé à introduire en Espagne la cochenille mexicaine, ce qui n’est nullement prouvé. Tout nous porte à croire que le velours de la dalmatique royale fut teint de fine écarlate, taint en graine, car la durée de la conservation est garante de la qualité. Je doute que les teintures modernes à l’aniline puissent affronter une pareille épreuve. L’origine du tissu lui-même est impossible à établir : il a pu être fabriqué à Gênes, aussi bien qu’à Venise, en Asie Mineure ou en Inde, peut-être même à Almeria, ville d’Espagne qui demeura célèbre, pendant tout le moyen âge, pour ses soieries et ses tentures. La tenue générale des ornemens indiquerait plutôt une source vénitienne ou lucquoise, car Venise et Lucques étaient réputées pour leurs répliques de soieries orientales. Le décor, très large, à ornemens fleuronnés réguliers, alternant avec des motifs du même genre, inclus, ceux-là, dans des compartimens lobés, ou avec des rosaces incluses dans des guirlandes à entrelacs de bâtons écotés, rappelle les velours italiens précités. Certains archéologues, amis des formules exactes et des classifications cadencées, appellent ces velours « figurés à meneaux sinusoïdes. » Je trouve l’expression en tout mauvaise. Car on devrait laisser le nom de tissus figurés aux étoffes où les ornemens représentent des figures d’hommes ou de bêtes, et ne donner le nom de meneaux qu’à des traverses reliant régulièrement, et sans disjonction, des motifs architecturaux, comme les montans d’une baie. Sans doute le vocable « historié » conviendrait-il mieux dans le sens général, comme celui de « polygones lobés » dans le sens particulier.

Mais je passe sur cette tunique, admirable à tous égards, comme sur les deux gibecières en cuir brodé, dont l’une, couverte d’inscriptions arabes, était destinée à renfermer le Koran, et j’en