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proclamer qu’un avancement légitime ne saurait, d’où qu’il vienne, constituer un stigmate ni un lien de servitude…

Votre bien dévoué
Émile Péhant[1].


Certes, si quelque chose était capable de vaincre la résistance de Victor de Laprade, c’était bien cette lettre si sensée et si noble. Pourtant le poète lyonnais hésitait de plus en plus à se rendre.


Cher poète et ami, écrivait-il de Paris à Émile Péhant, le 11 avril 1870, je suis vivement touché de votre lettre et de votre sollicitude d’homme d’honneur pour les scrupules de conscience qui m’inquiètent depuis deux mois et qui se ravivent en ce moment plus que jamais. Le plébiscite remet tout en question. Le retour au césarisme redevient possible. Et puisque j’ai eu le bonheur d’être expulsé par le césarisme, je ne veux pas rentrer avec lui. Si cette affaire de rectorat n’était presque faite et surtout si elle n’avait pas été commencée par le plus excellent et le plus dévoué des amis, M. Saint-René Taillandier, je crois que je déclarerais de suite que j’y renonce, mais je suis contraint de laisser aller les choses ; je verrai plus tard ce que ma dignité me conseillera. L’élection d’Ollivier à l’Académie complique encore la question. Ceux qui ne connaissent pas nos bonnes relations antérieures et notre commune affection pour Lamartine qui lui avait envoyé ma voix, pourront croire que mon vote à l’Académie a été influencé par une ambition.

Je retombe donc dans la plus grande perplexité. Je pars aujourd’hui pour Lyon. J’y resterai jusqu’à la réception d’Auguste Marbier dont je suis parrain. Je vous ai adressé hier mon Harmodius : on ne dira pas au moins que ma poésie se tourne du côté de César ; ce poème n’est pas un placet. Taillandier est admirablement disposé pour vous tous et pour moi, et nous avons causé ensemble de Jeanne de Belleville.

Dieu vous donne santé, bonheur et poésie.

Je vous serre la main de tout cœur,

V. de Laprade[2].


Quelques semaines plus tard, Émile Péhant lui écrivait de nouveau à ce sujet :


Nantes, le 2 juin 1870.
Mon grand et bien-aimé poète,

… D’après la lettre que vous avez écrite à G… et qu’il vient de me communiquer, il paraît que votre fierté d’honnête homme ne se trouve pas suffisamment sauvegardée ; tout rapprochement avec le césarisme vous

  1. Lettre inédite.
  2. Lettre inédite.