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courage à son auteur. Ce ne furent pas, d’ailleurs, les seuls complimens que lui valut ce poème. Tout ce qu’il y avait de poètes en France se leva pour l’en féliciter, à commencer par ceux de sa génération qui le croyaient mort depuis longtemps. Antoni Deschamps lui cria bravo de son lit de souffrance ; Sainte-Beuve, qui n’avait point oublié son volume de Sonnets, après s’être excusé de n’en avoir rien dit, lui manifesta son contentement de le savoir encore debout et tout prêt à recommencer. Victor Hugo, de son rocher de Guernesey, lui envoya le billet que voici :


H. H. 11 décembre 1863.

Heureusement pour vous, monsieur, vous vous êtes trompé en vous vantant d’avoir dans votre poème supprimé la métaphore. La métaphore, c’est-à-dire l’image, est la couleur, de même que l’antithèse est le clair-obscur. Homère n’est pas possible sans l’image ni Shakspeare sans l’antithèse. Essayez d’ôter le clair-obscur à Rembrandt ! Vous êtes un peintre, monsieur, tant pis si cela vous fâche, et vos belles pages, nombreuses dans votre noble poème, ont toutes les vraies qualités du style, la métaphore comme l’antithèse, la couleur comme le clair-obscur. Votre drame n’en est que plus vivant, votre pensée n’en est que plus robuste ; le lecteur est toujours charmé et souvent conquis. Je félicite votre poème d’être infidèle à votre préface, et je vous envoie mon cordial applaudissement.

VICTOR HUGO[1].


Mais c’est encore l’article de Victor de Laprade qui mit le plus de joie dans le cœur désenchanté d’Emile Péhant. Il lui sembla qu’à travers les complimens du poète de Pernette, il entendait la voix d’Alfred de Vigny, son ancien maître, car il savait que de Laprade était, lui aussi, le fils de l’âme et de la pensée du chantre d’Eloa, et que lorsqu’il avait été destitué, en 1861, Vigny, malade, s’était élevé contre le ministre et contre le souverain, « qui ne permettaient pas à un poète d’exprimer des idées aussi justes, aussi hautes que celles qui remplissaient ces belles pièces : Pro aris et focis, Jeunes Fous et Jeunes Sages, Une Statue à Machiavel, les Muses d’Etat. » Et à partir du jour où Victor de Laprade eut fait sur Péhant l’article qu’on vient de lire, — encore en ai-je passé la fin, qui était beaucoup plus louangeuse, — il s’établit entre ces deux nobles esprits, qui au point de vue politique n’avaient de commun que la haine de l’empire, une correspondance et des relations d’autant plus touchantes que,

  1. Lettre inédite.