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semblables, il avait, dans cette lutte qui est la forme la plus constante de ses rapports avec ses semblables, besoin de protecteurs. Son imagination, à force de les chercher, les créa. Comme les enfans savent trouver dans les objets les plus informes une représentation parfaite de tout ce qu’ils ont en tête, l’enfant qu’est l’homme des sociétés rudimentaires, attacha aux fétiches créés par sa fantaisie superstitieuse toutes les puissances dont il avait besoin pour son commerce, ses héritages, ses amours et ses haines, se fit des dieux domestiques, des complices de ses fautes et, au besoin, de ses crimes.

Enfin, comme l’homme est contradiction, en même temps qu’il travaillait à dominer, à tromper, à supprimer ses semblables, il se sentit solidaire d’eux. Les fléaux communs, les guerres étrangères, parfois l’élan d’une piété désintéressée développèrent en lui le besoin de supplications auxquelles pût s’unir un peuple entier. De là un culte public on faveur de dieux, eux aussi imaginaires, mais symboles de sentimens, d’intérêts, d’espoirs collectifs. Ces cultes sont comme un miroir où les races se reconnaissent, une synthèse où leurs passions générales trouvent leur expression religieuse. Ils varient donc selon la place qu’occupent ces peuples dans le temps et sur le sol, selon leurs dangers, leurs besoins, leur caractère. La forme dernière et la plus parfaite de l’idolâtrie fut le culte de l’orgueil national.

L’idolâtrie, sous toutes ces formes, devint l’obstacle à la civilisation du genre humain.

Le commencement de cette civilisation est le dressage de la nature par l’homme, la lutte entre l’intelligence qu’il possède et les énergies qu’elle lui oppose, et la métamorphose des forces hostiles ou perdues en forces dociles et fécondes. Or, pour que l’homme devienne un maître sur son domaine, il faut avant tout qu’il ne doute pas de son droit à diriger les puissances aveugles des élémens, à capter les richesses de la terre, à détruire les animaux nuisibles et à traiter les utiles en serviteurs. Alors il lui reste à lutter contre les révoltes de ces forces, mais, comme il ne se méprend pas sur leur destination à être soumises, il accroît par ses tentatives de les dominer son expérience et étend peu à peu sa souveraineté sur sa demeure. Mais si dans ces élémens, dans ces animaux, dans ces plantes, il adore des dieux, il ne se sent plus le droit de les discipliner à son gré, c’est lui qui doit tout supporter d’eux comme l’esclave du maître : toute tentation