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un sac à procès, un sac d’argent. « On peut appeler celui-ci le sac aux forfaits et la vraie boîte de Pandore. Que d’horreurs en sont sorties ! Quels crimes n’a pas fait commettre l’amour de ces fanfreluches-là ! » Mais au moment où notre moraliste va jeter les pièces dans la mer, quelque chose lui retient le bras, on ne sait quel charme l’acoquine à ce maudit métal. Et ces trois actes ne sont donc que le monologue.

Énumérons quelques-uns des élémens qui sont essentiels à la comédie foraine et qui devaient, par la suite, faire fortune. D’abord le merveilleux. Ce merveilleux, emprunté aux souvenirs de l’antiquité déformés par l’imagination populaire, au pittoresque conventionnel de contrées lointaines et étranges, aux contes de fées, à l’allégorie, à la fantaisie, a surtout pour objet d’amuser les yeux par le bariolage des costumes, la nouveauté de la décoration, les surprises des changemens à vue. Ainsi dans le Temple du Destin, l’Antre de Trophonius, la Reine de Barostan, la Foire des Fées. L’Endriague, de Piron, doit son nom à un monstre ailé qui occupait toute la largeur de la scène : on voyait la jeune Grazinde disparaître dans la gueule du monstre où Arlequin l’allait rechercher. Dans l’Ane d’Or, de Piron, qui n’a que peu de ressemblance avec celui d’Apulée, le principal rôle était celui d’un âne qu’on voyait en scène manger et boire comme un être humain, attendu que c’était Arlequin lui-même métamorphosé. Ce qui avait suggéré à Piron cette belle invention, c’est que l’Arlequin de la troupe se trouvait avoir un remarquable talent pour braire. Le merveilleux, que Boileau excluait de toute œuvre d’art sérieuse, avait ainsi trouvé accueil chez les forains qui deviennent les maîtres de la féerie. D’Arlequin roi de Serendib à l’Ane d’Or ; de l’Acajou, de Favart, dont un acte se passe dans la lune, au Pied de Mouton et à la Poudre de Perlimpinpin, la chaîne est ininterrompue, et toute la différence ne provient que de l’ingéniosité grandissante des trucs et du luxe de la mise en scène.

La comédie foraine qui est une féerie est aussi, essentiellement, une revue. De quoi voulez-vous que rient des badauds parisiens si ce n’est du ridicule le dernier-né, du travers le plus récent, de la mode qui sévit, de l’engouement qui vient d’éclore, de l’aventure qu’on se conte à l’oreille, du scandale d’hier, des originaux du jour, et, en un mot, de tout ce qui est du domaine de l’actualité ? Donc l’auteur de Turcaret et bientôt de Gil Blas ne manquera pas de mettre en scène ses victimes ordinaires : financiers, médecins, nobles de fraîche date, petits-maîtres débauchés, comédiens superbes et poètes faméliques. L’allusion est parfois d’une remarquable précision, remarque M. Maurice Albert. Dans Arlequin traitant, un manieur d’argent paraît sur la scène entre