Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/465

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rappelaient de façon grotesque les acteurs de la Comédie-Française dans leurs rôles les plus récens. Molière, dans l’Impromptu de Versailles, s’était amusé, en passant, à ce genre de drôlerie. Les forains s’en emparent et le font venir jusqu’à nous ; ce sont les imitations. — En 1713 les forains se trouvent privés tout à la fois du droit de dialoguer, de monologuer, de chanter et de danser ; ils ne renoncent pas pour si peu à jouer des pièces. Ils s’avisent du stratagème suivant. Ils font imprimer sur des écriteaux les paroles que les acteurs ne pouvaient débiter et que la mimique ne pouvait rendre. Deux enfans habillés en amours et suspendus en l’air par des contrepoids déroulaient l’écriteau ; l’orchestre jouait aussitôt l’air du couplet et donnait le ton aux spectateurs, qui chantaient eux-mêmes ce qu’ils voyaient écrit, pendant que les acteurs y conformaient leurs gestes. La première des pièces que Lesage compose pour la Foire, Arlequin roi de Serendib, est le type de ces « pièces à écriteaux. » Arlequin a été jeté par la tempête dans l’île de Serendib ; des voleurs l’attaquent, l’enferment dans un tonneau, dont s’approche un loup qu’Arlequin tire par la queue, en sorte que, dans l’effort, le tonneau se brise. Suivant une coutume de l’île, tout étranger qui y aborde doit être fait roi : Arlequin goûte fort les privilèges de la royauté : le chef des eunuques lui amène l’esclave favorite ; des cuisiniers lui servent des plats recherchés, qu’il a seulement à défendre contre des médecins directement venus de l’île de Barataria. Mais cette royauté n’est que le prélude du sacrifice, et le roi d’un jour doit être immolé à l’idole du lieu. Par bonheur, le grand prêtre n’est autre que Mezzetin, qui reconnaît Arlequin, l’embrasse, pille le temple avec lui et veut même voler l’idole pour la rapporter en France. C’est donc dans un cadre fantastique, où voisinent des souvenirs d’Iphigénie en Tauride, de Don Quichotte et des Voyages de Bernier, la pantomime, que les forains reprennent aux Italiens. — En 1722, si les forains n’ont pas le droit de dialoguer, ils ont du moins celui de parler. Avantage énorme, et qui va permettre à Piron de composer les trois actes de son Arlequin Deucalion. Arlequin joue le rôle de Deucalion resté seul au monde après le déluge. « Eh ! bien je ne vois personne à qui parler, il n’y aura personne aussi qui me fasse taire. » Donc il bavarde à son aise, abondamment et sur tout sujet, il raille et il disserte, il verbalise, satirise, moralise. D’une futaille échappée au déluge il tire un nobiliaire : « Ah ! ah ! la jolie pièce de cabinet le lendemain d’un déluge ! » Continuant ses fouilles, il tire de la futaille les pièces d’un procès, celui des anciens et des modernes. Puis c’est une paire de pistolets.