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voit presque pas trace en Bulgarie. Derrière les décors de théâtre, la pompe aulique de Preslav la Grande ou de Prespa, on distingue les tribus montagnardes jalouses de leur indépendance, les nobles se retranchant dans leurs châteaux forts, les chefs de clan, les dynastes féodaux tenant en échec le pouvoir royal. Ni la tradition d’autorité ni l’habitude de l’obéissance n’étaient aussi fortement établies dans l’empire bulgare que dans l’empire grec : de là une grande infirmité pour le premier. Cet esprit d’anarchie se retrouve aussi dans les choses ecclésiastiques. L’Eglise orthodoxe est en lutte avec une Eglise hérétique, presque aussi puissante qu’elle-même et tout aussi nationale, au moins dans la région du Pinde. Ce que nous savons de l’impôt bulgare ne permet pas de supposer qu’il ait pu suffire à entretenir un véritable État comme était l’empire byzantin, avec des organes permanens de défense et d’attaque.

Jusqu’ici, dans le parallèle entre les deux empires nous avons trouvé entre ces deux États du moyen âge certaines analogies, tout en constatant, sur presque tous les points, la supériorité du plus ancien. C’est dans le domaine militaire que cette supériorité va surtout éclater. Or l’état militaire d’une nation est comme la résultante, tout au moins la plus claire expression de son état social et politique. La Bulgarie n’eut jamais une sérieuse marine de guerre, puisque Siméon avait dû solliciter celle du sultan d’Egypte. Eut-elle une vraie armée ? A-t-elle connu un art militaire ? D’élémens ethniques les plus divers, agrégés ou étrangers à l’empire, le génie byzantin parvint à recruter de braves légions, une infanterie solide, une rapide cavalerie, soutenue par une artillerie nombreuse et bien servie, dont les catapultes et batistes lançaient des boulets de pierre, des viretons d’airain et des pots de feu grégeois. Il existait une stratégie, une tactique, une poliorcétique byzantines. Elles s’inspiraient des traditions, mais adaptées aux temps nouveaux et aux guerres nouvelles, qu’avaient formulées les théoriciens de la Grèce et de la Rome antique. Parmi les écrivains militaires de Byzance, il suffit de citer les empereurs Maurice, Léon le Sage, Constantin Porphyrogénète, Nicéphore Phocas, et l’auteur anonyme des Conseils et Récits. Ces traditions d’art militaire, héritées de l’antiquité, les Bulgares ne les possédaient que de seconde main ; ils n’ont guère eu le temps de s’en pénétrer. Si Krum et Siméon purent balayer devant eux les légions de Byzance, ce fut en entraînant,