Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/416

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des moines espagnols et son titre de religion romaine, où l’orgueil national du Japon flairait une obscure menace. Ce n’est qu’à force de prudence, d’amour, d’intelligence aimable et libérale, de dévouement aux intérêts indigènes que nos missionnaires sont parvenus à former des confréries de catholiques excellens. J’ai rencontré parmi leurs catéchumènes des âmes où la noblesse chrétienne s’alliant à la politesse japonaise composait un tout rare et délicieux. Néanmoins la magnifique discipline dont notre Eglise a, depuis deux mille ans, maîtrisé tant de passions, remporté tant de victoires sur la chair humaine, résisté à tant d’assauts, inspire aux Japonais les plus intelligens le désir de lui emprunter sa pompe, ses dignités, ses processions, ses règles même pour raffermir l’autorité chancelante de leurs sectes religieuses. Et si leur idée fait honneur aux missionnaires français, dont ils proposent souvent l’exemple à leurs bonzes, c’est tout de même une étrange chimère que de vouloir « catholiciser » le bouddhisme, essentiellement anarchique.

Le protestantisme, lui, se crut plus de chances de réussir. Ce n’était point que son passé prouvât moins d’intolérance. En janvier 1843, un grand meeting de pasteurs se tint à Londres pendant la guerre de l’opium, la plus abominable qu’une barbarie civilisée ait jamais entreprise. Ils rendirent grâces à Dieu d’avoir permis que l’Angleterre, par les brèches ouvertes à son poison, eût frayé dans l’empire chinois des routes à l’évangélisme. L’Américain Richard Hildreth, qui cite le fait, ajoute : « Ni les lettres des missionnaires jésuites, ni l’histoire de leurs missions ne m’ont rien fourni de comparable à ce spécimen du zèle protestant. » Mais, Anglais ou Américains, les clergymen se présentaient aux yeux des Japonais comme les annonciateurs d’une religion nouvelle, optimiste, pratique, accommodée aux transformations du monde moderne, individualiste et telle que chaque peuple pût l’adapter à ses convenances et la modeler sur ses fantaisies. Leur assurance d’Anglo-Saxons et leur appareil scientifique aidèrent encore à leur premier succès. Beaucoup de ces pasteurs étaient des hommes distingués, professeurs, historiens, médecins, naturalistes. Leur chapelle avait des lumières de laboratoire. Les Japonais, charmés qu’on s’adressât à leur raison, s’empressèrent de feuilleter la Bible et conçurent une église nationale qui restituerait au christianisme son ingénuité galiléenne et qui même nous apprendrait à débrouiller, mieux que nous ne le fîmes, les petites