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qui la voulaient exploiter, tout cela conspirait, s’unissait, s’entre-croisait et s’entr’aidait, et tout cela donne à l’histoire de l’unité italienne un caractère composite, non moins composite que le résultat même de cette unité.


Victor-Emmanuel III prend la couronne au moment où l’unité de l’Italie commence d’apparaître, aux yeux des historiens ou des sociologues impartiaux, non comme un phénomène de génération spontanée, mais comme un acte de violence à l’endroit de la nature, violence couronnée de succès. A vrai dire, ces récentes conclusions ne sont point la condamnation de l’unité. Beaucoup d’œuvres, demeurées grandes à travers l’histoire, furent, en leur origine, des violences à la nature. Mais ces conclusions, du moins, donnent à réfléchir sur les moyens d’adapter aux besoins et aux usages des diverses régions une législation trop homogène, et d’élargir les mailles du réseau unitaire sans d’ailleurs en déchirer la contexture. « Uniformité passive en tout : l’Italie a été étendue dans un lit de Procuste, » écrivait dès 1890 M. Merlino, l’avocat de Gaetano Bresci[1]. L’histoire et la sociologie contemporaines, en Italie, réclament, précisément, qu’on en finisse avec cette uniformité passive, qu’on fasse à l’esprit fédéraliste sa part, et qu’on la lui fasse large et franche ; l’histoire et la sociologie encouragent M. Colajanni dans sa vigoureuse campagne fédéraliste[2], forme moderne de l’antique guelfisme. Et ces conclusions enfin n’invitent point à défaire l’œuvre de la nationalité italienne, mais elles permettent de se demander si l’œuvre ne doit point être refaite autrement.

Entre les deux Italies si distinctes entre elles, Rome, capitale improvisée de l’une et de l’autre, et différant également et de l’une et de l’autre, s’interpose comme un isthme : isthme essentiellement volcanique, — on vient encore d’en avoir la preuve, — et dont les commotions, tantôt sourdes et tantôt bruyantes, se répercutent, non seulement jusqu’aux deux extrémités de la péninsule, mais à travers tout l’univers catholique. Que ces secousses produisent des ébranlemens, l’univers catholique, alors, en demandera compte à l’Italie. Or les générations antérieures avaient cru qu’en occupant cet isthme elles uniraient les deux Italies : on nous répétait, ces jours derniers, dans toutes les

  1. Xavier Merlino, l’Italie telle qu’elle est, p. 214. Paris, Savine, 1890.
  2. Voir en particulier la collection de la Rivista populare, organe de M. Colajanni.