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digne d’être un jeu de prince. Les seules monnaies, en général, auxquelles s’intéressent les souverains sont celles qui portent leur effigie et dans l’aloi desquelles ils mettent leur honneur : cet exclusivisme est fâcheux. Car en vérité, pour l’usufruitier d’un trône, il ne saurait y avoir de « leçon de choses » plus éloquente, et, comme l’on dit aujourd’hui, plus suggestive, qu’une collection de pièces de monnaie : témoins durables des vicissitudes des dynasties, il advient souvent, par surcroît, qu’elles rendent hommage à Dieu dans leur exergue, à Dieu qui seul est grand. La numismatique, en somme, c’est la philosophie des rois.

On prête à Victor-Emmanuel III une grande robustesse de volonté. Il y a, dans sa jeunesse, une journée des Pyramides où cette force éclata : « Je suis sûr de moi, » disait-il aux amis vigitans qui voulaient que pour escalader ces cimes de pierre il tendît aux ciceroni sa main d’Altesse : il avait en effet raison d’être sûr de lui, puisque, sans accident, il atteignit au faîte ; et les barnums des bords du Nil purent augurer que le futur roi d’Italie agirait par lui seul.

En quoi sans doute ils ne se trompaient point. Car déjà l’on nous rapporte que Victor-Emmanuel III, n’admettant point que Ton considère sa plume royale comme une machine à paraphes, ordonne que les décrets lui soient soumis trois jours avant la signature, ou tout au moins la veille. Il a, dans son discours du trône, parlé de ses droits et de ses devoirs de roi avec une fermeté qu’on a jugée frappante. La proclamation à son peuple, dont trois de ses ministres s’étaient efforcés de lui épargner la rédaction, a subi, paraît-il, de sérieuses retouches, moins peut-être pour améliorer la prose de ces politiciens experts que pour attester le droit du monarque à avoir, lui aussi, tout comme le plus humble des sujets, des idées et un style.

Victor-Emmanuel II est couramment célèbre, dans cette façon de légende contemporaine par laquelle se terminent les histoires d’Italie, sous le titre enviable de Grand Roi. Humbert Ier pour la presse entière de la péninsule, voire même, — ce qui est significatif, — pour la presse républicaine, est désormais le Bon Roi. Il suffira certainement à Victor-Emmanuel III d’être appelé dans l’histoire le Roi, — le roi tout court, revendiquant avec ténacité tout son droit de faire tout son devoir, se faisant violence à lui-même, s’il le faut, pour remplir tout son devoir, mais faisant violence