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tionnait sans trêve sous le hall des gares, ils partaient, mais ne revenaient pas, quelques-uns capturés, d’autres allant atterrir jusqu’en Norvège ou se perdre en mer. Voyages périlleux : les vents, la menace d’engins spéciaux, du mousquet de Krupp, sans parler, pour les aéronautes, du risque de se voir, une fois pris, traités en espions.

Qui sait si tout cela n’allait pas devenir superflu ? Jacquenne contemplait d’un air têtu la vitre qui le séparait de la vie, le brouillard opaque du dehors. Il se rongeait d’impuissance dans cette geôle amicale, prisonnier malgré tout. Martial venait de terminer sa réparation. Un bruit sonore monta de la rue, les notes cuivrées d’un clairon qui s’égrenèrent stridentes. Cette voix familière que d’autres jours, à force de l’entendre, ils n’écoutaient plus, parla dans le silence, fut l’appel guerrier, le sursaut violent de leur espoir. Tout le frémissement de l’armée prête à s’ébranler s’agitait dans cette vibration. Thévenat dit :

— Confiance en demain, mes amis !

Ils se rapprochèrent de la fenêtre, dont Jacquenne s’éloignait, contemplèrent à leur tour, l’âme angoissée de désir et d’attente, l’énorme ville noyée dans la brume et recueillie comme eux, l’océan confus des toits, et, par-delà ce rideau mystérieux, l’horizon qu’allait percer, dans les flammes et le sang, l’effort gigantesque de Paris, l’horizon vague derrière lequel la province était en marche.

Paul et Victor Margueritte.

(La troisième partie au prochain numéro.)