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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

ment désertes, gagnait à travers les corridors du Louvre la porte basse de l’exil. Quant au Sénat, il s’était évanoui comme une ombre. Nulle révolution qui se fût accomplie avec moins de violence ; on eût dit le cours naturel du Destin. La France se réveillait aux mains connues d’Arago, de Crémieux, de Garnier-Pagès, de Favre, doublés de politiques nouveaux, Pelletan, Ferry, Gambetta, Rochefort, qui avaient grandi pendant ce sommeil de dix-huit ans. Le déclin de 70 rejoignait l’aube de 48. La République renaissait.

Mais dans quel état le pays sortait de son rêve ! Les gloires militaires cachant le néant de l’armée, l’apparat de luxe détournant du travail fécond, la paresse dorée, la frivolité niaise, ces causes de la catastrophe, quelles étaient loin déjà ! Les soldats, les aigles, les canons d’Italie et du Mexique, victimes d’une impéritie criminelle, emplissaient les casemates allemandes. La capitulation de Sedan, avec 100 000 hommes, cinquante généraux, un maréchal de France, un Empereur, s’inscrivait comme une tache sans exemple dans l’histoire. Nos dernières troupes régulières, 175 000 combattans, étaient acculées aux fossés de Metz, sous le patient regard du prince Frédéric-Charles. Par la brèche saignante de l’Alsace et de la Lorraine, le flot de l’invasion coulait, coulait sans cesse ; les bataillons prussiens, la landwehr de l’Allemagne entière, plus de 800 000 hommes pullulant comme des sauterelles noires, s’avançaient irrésistiblement. Leur marche impitoyable, leurs durs talons foulaient en maîtres le sol gaulois. Province à province, imposant la loi du plus fort, ils organisaient la ruine et le pillage systématiques. Un quart des départemens obéissait à des préfets teutons. Toul et Strasbourg, malgré une défense tenace, étaient en cendres, Marsal et Laon rendus, Bitche, Phalsbourg, Neuf-Brisach bombardés. Paris enfin, malgré la ceinture de ses forts et son immense armée improvisée autour du corps de Vinoy, Paris, depuis trois semaines, se voyait séparé de la France, étreint dans un cercle formidable d’investissement. Il semblait que la guerre fût finie ; elle commençait. Cette fois, c’était la véritable, aussi légitime qu’avait été absurde l’autre. Guerre de la patrie envahie, guerre sainte. Et cependant, partout le désarroi, la surprise des partis ; le plus grand nombre doutant de l’utilité de la résistance et nourrissant une arrière-pensée de restauration, impérialiste, légitimiste ou orléaniste ; la République suspecte à beaucoup, ardemment servie par quelques-uns,