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fatalités géographiques dont l’Italie moderne a recueilli le pesant héritage. Les erreurs humaines n’ont fait en Italie que continuer et qu’aggraver parfois l’œuvre d’un mal physique. M. Georges Goyau a tout le premier indiqué dans son étude l’action réciproque qu’ont exercée l’un sur l’autre ces deux phénomènes funestes, la persistance de la grande propriété et l’existence du miasme palustre. Si aujourd’hui les latifundia entretiennent la malaria, à l’origine la malaria a fait les latifundia. Pourquoi en effet, sur une si grande partie du sol italien, les habitations se trouvent-elles comme exilées loin des cultures ? Pourquoi, depuis la campagne romaine jusqu’aux rivages de la mer Ionienne, le laboureur n’est-il plus, sauf de rares exceptions, un fermier attaché à la terre, mais seulement un manœuvre à demi nomade ? Pourquoi les possesseurs de ces étendues fertiles et mornes ne résident-ils jamais au milieu de leurs domaines, et laissent-ils à des intendans rapaces l’administration de leurs biens et le gouvernement de leurs sujets ? Pourquoi tous ces hommes semblent-ils avoir peur de la terre ? C’est qu’elle est vraiment une ennemie, que le riche ne se soucie point d’affronter, et que le pauvre fuit le soir après l’avoir combattue tout le jour. Le travailleur affranchi par la possession d’un petit pécule ou d’une instruction primaire ne risquera point dans une lutte pareille sa vie ou celle des siens : il laissera le danger à ceux que l’extrême misère oblige à se soumettre. Les indigens de la Basilicate ou de la Calabre sont condamnés aux champs, comme d’autres, dans les pays du Nord, sont condamnés aux mines ; comme d’autres dans les houillères, ils travaillent, sous le libre soleil, en une atmosphère de grisou. Ni les uns ni les autres ne connaissent le propriétaire ou l’actionnaire qu’ils enrichissent. Pour que ces foules obscures donnent naissance à des hommes libres, il faudra que les forces hostiles qui déciment les travailleurs aient été vaincues par la science. La terre d’Italie ne sera aux paysans que lorsqu’elle ne sera plus à la malaria.

Il était légitime de chercher jusque dans l’irresponsable Nature l’origine d’un mal aussi ancien que les latifundia, auxquels Pline, dans un passage fameux de son Histoire naturelle, attribuait déjà la ruine de l’Italie. L’émigration qui chaque année emporte des milliers d’Italiens vers les Amériques est au contraire un mal nouveau. Avant 1860, on ne connaissait en Italie que l’« émigration temporaire » des Piémontais et des Lombards, qui