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au premier ministre, résumait ces injonctions péremptoires : « Les gouvernemens, disait ce texte, entendent, dans l’intérêt de la paix générale, s’arrêter à cette solution, qui doit être considérée dès lors comme une décision de l’Europe... Ils sont convaincus que le cabinet d’Athènes ne voudra pas s’exposer au complet isolement qui serait la première et inévitable conséquence de son refus. »

Cette éventualité n’était pas vraisemblable, car cette longue affaire était évidemment mûre. Toutefois mon récit serait incomplet, si je ne rappelais, en peu de mots, les dernières difficultés que nous eûmes à surmonter. Nous étions en présence d’un peuple très ardent, qui ne se résignait pas à l’abandon de l’Epire. M. Coumoundouros écouta d’un air profondément triste la lecture de la note collective, et, sans la discuter, se borna à nous promettre une prochaine réponse dont il ne nous fit pas pressentir le sens. D’autre part, l’opposition déclara notre document inacceptable ; M. Tricoupis jeta feu et flammes en invoquant « l’honneur de la Grèce ; » les orateurs de la rue et la plupart des journaux sommaient le gouvernement de repousser la conclusion offerte. Quand je revis le premier ministre, je le trouvai inquiet, très ému ; il me regardait, sous ses gros sourcils blancs, d’un air énigmatique et morne. Sans revenir sur le fond de l’affaire que j’estimais absolument réglée par l’Europe, je me bornai à le mettre en garde contre la fallacieuse tactique de ses adversaires, qui n’affectaient l’intransigeance que pour se rendre populaires à ses dépens, et le placer, s’ils l’intimidaient par leurs clameurs, dans une situation impossible vis-à-vis des Puissances... Je lui représentai, au contraire, le sachant accessible à cet argument d’ordre supérieur, qu’un homme d’État tel que lui devait dédaigner les agitations factices et les déclamations vaines, et qu’en prenant avec courage une résolution conforme aux intérêts de la Grèce, il aurait dans l’histoire l’enviable honneur d’avoir prévenu des désastres certains et attaché son nom à la réunion pacifique d’une riche province au patrimoine de la patrie.

En le quittant, et bien qu’il ne m’eût rien promis, je ne doutais pas de son adhésion, mais je me défiais de la forme qu’il donnerait à sa réponse. Elle nous parvint en effet, quelques jours plus tard, assez enchevêtrée et d’apparence ambiguë : le vieux politicien hellène, héritier des traditions verbeuses de sa race, était passé maître dans l’art de voiler sa pensée sous une insidieuse